7 avril 1983 – Cendres de Toussaint Louverture ; pour inaugurer le MUPANHA, le dictateur Duvalier fit venir de France des pincettes de poussière de Fort-de-Joux

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1890

Peut-on retracer avec une certitude absolue ses restes et les faire entrer au panthéon ?

Toussaint Louverture, de sa capture à son internement inhumain dans un cachot de Fort-de-Joux, jusqu’à ce que mort s’en suive, le 7 avril 1803, n’a connu autant d’humiliations et de souffrances qu’il n’a endurées durant ses jeunes années passées dans l’esclavage.

Après avoir connu 32 nuits et jours en haute mer au départ du Cap-Français (Cap-Haïtien), il devait resté davantage prisonnier sur Le Héros au quai de Brest (France) pour un autre 67 jours, avant de mettre les pieds sur la terre ferme de France, en octobre 1803, pour ne plus retourner sur les traces du passé. Si l’acte de son décès survenu le 7 avril 1803, alors qu’il était privé de soins et de nourriture, est facilement retracé et avec exactitude, il n’en demeure pas moins que ses cadavres encombrants, pour le peu d’importance accordé au « général-traître« , par le premier Consul, revêtent d’un caractère particulier, D’où sur les traces des restes de Toussaint Louverture, reste et demeure un énigme.

Port du Cap-Haitien – port de Brest (France), Toussaint Louverture, enchaîné, a passé 32 jours et nuit en

Lundi 7 avril 2020 ((rezonodwes.com))–Parmi les fondateurs de l’émancipation du peuple haïtien, qui, aujourd’hui, semble être plongé dans une léthargie, se détache majestueusement du fond du tableau un homme qui eût honoré n’importe quelle nation : La France, en tout premier genre. Cet homme, un génie du temps moderne, était petit et fluet, actif et infatigable ; écrit Saint-Rémy dans « Etude Historique et Critique » se référant aux prouesses de cet homme qui n’est autre que le génie Toussaint Louverture, mort il y a exactement 217 ans. Peut-on retracer avec une certitude absolue ses restes et les faire entrer au panthéon ?

Seules des études d’archéologie très poussées, avec une technologie de pointe appliquée, pourraient avancer des preuves irréfutables que le grand vase doré, exposé au MUPANAH, le Musée du Panthéon National contienne indubitablement les restes du Précurseur de l’indépendance d’Haïti.

Mais avions-nous besoin d’en arriver jusque-là pour comprendre la légèreté avec laquelle la « présidence à vie » manœuvra ce dossier à l’inauguration du plus grand musée national d’Haïti, le 7 avril 1983, dédié à nos Ancêtres et particulièrement aux héros de l’Indépendance. Un jour que le gouvernement a voulu faire coïncider avec le 180ème anniversaire de la mort de Toussaint Louverture. Et que de compatriotes, visiteurs, hommes d’état, dignitaires sont venus s’incliner devant cette urne sans état d’âme apparent.

Un petit mot de Jean-Robert Estimé a fait basculer le mystère

Un simple mémorandum du Ministre des Affaires Extérieures Jean-Robert Estimé, enfoui dans les archives du temps, mais retracé, dévoile tout le mystère. Les correspondances parlent de poussière à recueillir sous des vestiges de Fort-de-Joux. Des informations déclassées, pour faciliter le travail de recherche du journaliste-investigateur, seraient le dernier cadeau que feraient les gouvernements haïtiens à la presse locale. Eux qui se démènent comme le diable dans un bénitier pour chercher à réguler ou contrôler les informations partagées avec le grand public.

Sachant bien que, depuis la nuit d’antan, le sort de l’île se dispute à l’extérieur, nous nous sommes rabattus sur les grandes bibliothèques internationales en ligne des pays occidentaux, pour remuer le passé. Le “diguer”. Tous les points déterminant notre présent avec un passé oublié hypothéquant le futur, s’y trouvent inscrits. Ainsi sommes-nous remontés à la genèse du Musée du Panthéon National Haïtien (MUPANAH), pour nous interroger sur la provenance de l’une des pièces maîtresses, entrant dans notre patrimoine.

Un musée, selon une brève description élaborée par le Conseil International des Musées (ICOM), est « une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement ouverte au public… ». Dans un musée, a fait remarquer l’ ICOM, nous sommes appelés à “acquérir, conserver, étudier, exposer et transmettre le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation”. Nous n’avons pas le droit à l’erreur, ni au mensonge. Il paraît d’autant plus hideux quand le mal fut mis à découvert et remis en question. Dans un musée, est exposé le vécu d’un peuple, le passé d’un homme qui a marqué sa génération, qui s’était transcendé. D’où la rigueur de l’authenticité des pièces à exposer.

Un groupe d’étudiants de la province visitant le musée MUPANAH en 1985

Au MUPANAH, en mai 1985, un groupe d’étudiants du secondaire du CIC des Gonaives, dont nous fîmes partie, lors d’une visite guidée par une cicérone savant à peine ce qu’il faisait, nous (les étudiants de la Terminale I du CIC) étions très émus et avions demandé à nous recueillir devant l’urne contenant les restes de Toussaint Louverture. Ce fut un grand moment de méditation. Le silence fut net et complet. Nous entendions des voix du cœur remercier l’ancien général pour la route tracée à l’indépendance du pays. Ses moindres faits et actes de bravoure posés, relatés dans l’histoire, nous revenaient en mémoire.

Ensuite, nous nous sommes rappelé des dernières paroles de Toussaint adressées à son fils Placide en France, avant de prendre des chemins distincts, pour ne plus se revoir de leur vivant. Il lui avait clairement dit : « Mon enfant, vous reviendrez un jour à Saint Domingue. Oubliez que la France a assassiné votre père« . Nous avions dès lors compris qu’en fait, le général parlait de lui. De ce qui restera de lui quand il sera entré dans sa gloire. Qu’un jour viendrait où sa terre natale, sa vraie patrie allait le rétablir dans toute la dimension de son être, pour avoir livré à succès, le vrai combat, suivi d’actes concrets avec une relève bien assurée.

Une boite de pandore !

Grande fut notre stupéfaction d’apprendre, à la lumière d’une première correspondance échangée en novembre 1982, entre la Chancellerie haïtienne et le Consulat de France, qu’il n’y ait que de petites pelletées de terre recueillies au Fort-de-Joux, à être introduites dans une urne. Si les restes de Toussaint Louverture étaient aussi facilement repérables et indexés, tout comme ceux de Jean-Pierre Boyer, reposant au cimetière Père Lachaise, en France, le président Lysius Salomon, en 1883, serait le premier chef d’état haïtien à rendre hommage au grand génie de la race noire. M. Salomon connaissait la Métropole mieux que tout autre passé ou futur chef d’état haïtien, pour y avoir longtemps vécu dans les missions diplomatiques haïtiennes à Paris.

Geste symbolique à défaut d’entrer en possession de ses vrais restes, on peut être tous tombés d’accord, mais persister à faire croire que Toussaint Louverture, à sa mort, a regagné sa patrie, dans une urne, c’est farfelu. Ce mensonge historique perd bien longtemps l’essence de sa dimension. Si l’Empereur Dessalines, mort à 40 ans, a attendu presque 48 ans (octobre 1845) pour être placé sous l’autel de la patrie; le gouverneur-général de St-Domingue, quant à lui, a eu le président Lysius Salomon avoir en premier, une pensée bien spéciale pour sa personne.

En 1883, soit quatre-vingt (80) années plus tard après sa mort, toute trace de remonter aux restes de Toussaint Louverture, était déjà dissipée.

Son âme titulaire veillait sur la jeune patrie en mal de créer un Etat-Nation, vilipendé par des apprentis-dictateurs. Il y eut même des documents, avant les grands travaux de restructuration du Fort, vers 1876, relatant de la prise en charge des restes de Toussaint par son fils Isaac. Tout ceci pour expliquer que les pelletées de poussière recueillie au Fort-de-Joux, sur requête du « gouvernement à vie« , n’a plus sa raison d’être.

Avant Jean Claude Duvalier, en novembre 1982, deux autres anciens présidents d’ Haïti Sténio Vincent et François Duvalier se planchaient sur la question. Ils avaient eux aussi manifesté un intérêt particulier, dans les recherches sur l’exactitude de l’emplacement des restes du général Toussaint, aux fins de rapatriement. Ils écrivirent une lettre d’intention à leurs homologues français.

Toussaint inhumé dans une fosse commune

Il eut été dit au premier, président Vincent, que les travaux de rénovation effectués au Fort-de-Joux, entre 1876-1880, avaient permis le déplacement de tous les ossements en une seule fosse commune. Donc il devenait impossible, voire difficile de remonter à l’emplacement exact où le Génie de la race noire fut inhumé. Vincent, probablement, voulait faire apparaître un sens de patriotisme éclairé, pour couvrir l’ombre de l’occupation, période au cours de laquelle, son gouvernement excellait en zèle.

Au second, Papa Doc, écarté et un peu méprisé sur la scène internationale pour le qualificatif de despote, en s’autoproclamant président à vie, le général De Gaule déclara une fin de non recevoir. Ensuite, il ajouta « …quel intérêt ont ces gens à réclamer les restes d’un ancien général français« . Pour Charles De Gaule, Toussaint serait un français. Il était venu mourir dans son pays dans une totale promiscuité.

Et le fils du tigre, Jean-Claude Duvalier, a apparemment réussi. Quel succès ? « Malfini volé li pa jwen’n ti poul li pran pay« . Probablement JCD anticipait. Aucun problème, il est servi et les cérémonies pompeuses ont lieu le 7 avril 1983.

Correspondance entre le ministre Estimé et l’ambassadeur de France en Haïti en 1982

Pour l’histoire et pour la vérité, est reproduit en-dessous, l’extrait d’une correspondance écrite de Jean-Robert Estimé adressée à Marcel Barthélemy, Ambassadeur de France à Port-au-Prince.

Port-au-Prince, le 11 novembre 1982

Monsieur l’Ambassadeur,

Me référant à nos dernières conversations, j’ai l’honneur de vous adresser, par la présente, au nom du Gouvernement Haïtien, une requête officielle afin que le gouvernement français accepte à restituer à la République d’Haïti les restes de Toussaint Louverture et ceux de Jean-Pierre Boyer, qui se trouvent respectivement aux fort de Joux dans le Jura et au Père-Lachaise à Paris.

Le Gouvernement haïtien n’ignore pas les difficultés inhérentes au repérage et à l’identification des ossements de Toussaint Louverture, dont la dépouille mortelle avait été placée dans une fosse commune qui fut soumise à divers mouvements de terrain sur laquelle, semble-t-il, des constructions auraient été érigées depuis lors.

S’il s’avère vraiment impossible de retrouver avec certitude les restes du Grand Précurseur, le peuple et le gouvernement haïtiens souhaiteraient que la France, dans un geste de grande portée symbolique, remettre à la nation Haïtienne, avec l’éclat et le faste qu’elle jugera nécessaires, une urne contenant de la terre provenant de l’emplacement où le corps a été inhumé.

Restes ou une urne pourraient être solennellement installés au Musée du Panthéon national à l’occasion de son inauguration en avril 1983.

En vous remerciant des suites que vous voudrez bien donner à la présente requête, je saisis cette occasion pour vous renouveler, Monsieur l’Ambassadeur, les assurances de ma très haute considération.

Jean-Robert Estimé Secrétaire d’Etat

Peu importe le coin caché de la nature où sont enfouis ou éparpillés les restes de Toussaint Louverture, le Premier des Noirs, déchu du haut rang qu’il occupait, trahi par ses propres lieutenants, enlevé à son pays, transféré brutalement sous le ciel glacé de la France, ses Mémoires que l’histoire exhume de leur enfouissement nous livrent tout entiers à la lumière de la dimension de génie de cet illustre personnage. Et Haïti n’a produit qu’un seul autre après lui : l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, le Premier d’entre nous.

recherches et rédaction : cba

1 COMMENT

  1. Ou sont les restes de Toussaint Louverture ?

    La réponse est aujourd’hui parfaitement claire:

    – après son décès le 7 avril et l’autopsie du corps effectuée le lendemain, le corps de Toussaint a été enterré sous l’ancienne chapelle située dans la partie sud du Fort, fortification de type Vauban.
    – en 1880 lors de la destruction de la 5e enceinte du fort ou se trouvait la chapelle sous laquelle avaient été enfouis les restes de Toussaint Louverture, les restes de Toussaint ont été mélangés avec les gravats de la chapelle détruite … IL n’y a jamais eu de fosse commune !!!
    – les gravats déposés sur les côtés du fort, ont été réutilisés pour recouvrir les fortifications enterrées, construites en lieu et place de l’ancienne fortification Vauban.
    – en mars 1983 après saisine du Quai d’Orsay, le Président Mitterrand a donné son accord pour la transmission d’une pelletée de terre symbolique du Fort de Joux, la disparition du corps étant enfin admise après 150 de légendes, manipulations, …
    – le 16 mars 1983, l’ambassadeur d’Haïti est venu au fort de Joux et a été accueilli par le conservateur de l’époque pour le prélèvement d’une pelletée de terre.
    – la pelletée de terre a été faite non pas à l’intérieur du Fort et dans les masses de terre qui recouvraient la 5e enceinte, là ou ont été versées les restes de Toussaint ce qui aurait été logique ….mais à plus de 150 à l’extérieur du fort au bord du parking !!! La terre prise n’a donc aucune chance de contenir un quelconque reste de Toussaint ceux-ci ayant été déposés à plus de 250 mètres de là. Lors du prélèvement il n’ y avait que 3 personnes, aucun officiel, aucune cérémonie ….. l’ambassadeur d’Haïti a mis la terre dans un vulgaire sac plastique et a repris le train pour Paris !
    – la cérémonie de remise officielle a eu lieu au Quai d’Orsay avec l’ambassadeur et le chef de la section Amériques (bernard Dorin)

    Il n’y a donc aucune ambiguité: la terre du vase du Mupanah ne contient pas la terre prise dans le Fort ce qui aurait été le minimum et logique mais en dehors et elle n’a donc pas servi de linceul aux restes du grand homme.

    Or, aujourd’hui, l’on sait ou dans le fort auraient été reversés la terre qui contenait les restes de Toussaint, après avoir analysé les archives de la deconstruction et reconstruction de la 5e enceinte. Mais même si l’on creusait à l’endroit identifié, jamais on ne retrouverait le moindre fragment, les conditions climatiques (gel-degal, eau, secheresse …) ayant complètement liquéfiées les parties osseuses du squelette depuis très longtemps.

    La seule chose qui ait connu la détention de Toussaint et été touchée par Toussaint lors de son séjour est un fragment de pierre de la cellule, prélevé sur le bord de la cheminée, la ou Toussaint appuyant sa tête a exhalé son dernier souffle le 7 avril 1803 vers 10h du matin. IL a été offert au Président Martelly, le 1 novembre 2014 lors de la première visite officielle d’un chef d’Etat Haitien ici au fort de Joux.

    Voilà pour la réponse à l’énigme historique, souvent posée par de nombreux haïtiens, persuadés que l’urne amenée en 1983 contient les cendres du 1er des noirs.

    Philippe PICHOT
    Projet Fort de Joux – Toussaint Louverture
    Route des abolitions – Pole mémoriel
    http://www.abolitions.org

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