Coronavirus : Entre théâtralisation d’un discours politique et effort de conscientisation sur la gestion du programme Petrocaribe

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Samedi 28 mars 2020 ((rezonodwes.com))– Désormais, le Covid-19 est le nom d’un virus qui se propage à un rythme exponentiel  dans le monde. Le 30 janvier 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a considéré cette épidémie comme une urgence de santé publique de portée mondiale. Près de 500 000 cas de personnes infectées ont été officiellement diagnostiqués dans 181 pays et territoires depuis l’apparition de cette épidémie. Ce fléau mondial a déjà fait plus de 21 000 morts dont une quantité considérable en Europe. Pour enrayer cette pandémie, nombreuses sont les mesures préventives et restrictives  qui sont déjà adoptées par les différents Etats et les Organisations internationales concernées par cette crise.

En Haïti, les deux premiers cas  de Covid-19 enregistrés ont été annoncés par le Président Jovenel Moise lors de son allocution télédiffusée en date du 19 mars 2020. A travers ce discours apparemment calqué sur ceux du Président français  Emmanuel Macron, Jovenel Moise a fait appel au calme,  à la solidarité, à l’entraide collective. Il y a annoncé des mesures restrictives et préventive, dans l’objectif de limiter la propagation de ce virus dans le pays, tels que : le confinement, le couvre feu, le télétravail. Compte tenu des conditions matérielles d’existence de la majorité de la population haïtienne, l’on est en droit de s’interroger sur l’applicabilité et l’effectivitité de ces mesures. A ce qu’il parait, le Covid-19 serait un rappel qu’Haïti est le pays le plus pauvre et plus densément peuplé de la caraïbe. 

Dans un tel contexte de précarité structurelle auquel s’ajoute la crise sanitaire actuelle l’on ne peut s’empêcher de revenir sur l’affaire Petrocaribe étant donné les opportunités que ce dispositif était censé apporter en vue d’une amélioration globale des conditions d’existences matérielles de la population haïtienne.

Du coup, dans quelle mesure l’urgence sanitaire actuelle liée au Covid-19 nécessite un effort de conscientisation concernant la mauvaise gestion dont les fonds Petrocaribe ont été l’objet ?

 Quid de la théâtralisation d’un discours politique?

La théâtralisation d’un discours politique se veut être le syndrome de la maladie de l’indifférence, caractérisée par un effort de faire semblant.

Sans avoir la prétention d’être un magister dixit, les faits concrets montrent que les communautés les plus vulnérables du pays sont encore exposées à des risques environnementaux, à des problèmes de surpopulation et ne bénéficient d’aucun accès  à des services sociaux de base. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO en anglais), dans un rapport publié le 22 janvier 2020, a fait une projection de 4,1 millions de personnes (40 % de la population totale) qui devrait connaître une grave insécurité alimentaire au cours de la période allant de mars à juin 2020.

L’idée d’une théâtralisation du discours politique se justifie quand on sait que dès le début de la montée de l’épidémie à travers le monde l’attention du Président de la république a été l’organisation des festivités carnavalesques alors même que d’autres pays se préoccupaient de leur système de santé afin de prendre les décisions qui s’imposent. On se rappelle qu’une semaine avant l’enregistrement des cas de Covid-19 en Haïti, les employés de l’Hôpital Universitaire d’État d’Haïti (HUEH), le plus grand centre hospitalier du pays, ont déclenché des journées de grève pour exiger des meilleures conditions de travail. 

Pour donner une idée du manque à gagner en termes d’infrastructures sanitaires dans les hôpitaux publics, on peut faire référence  au texte de Claude Junior Pierre paru dans les colonnes du Nouvelliste le 24 mars 2020 : « Pour les patients atteints de Covid-19 qui nécessiteront une hospitalisation, il y a en Haïti moins d’une centaine de respirateurs mécaniques et 124 lits de soins intensifs. Pire encore, seulement 5 institutions et environ une trentaine de lits remplissent les critères d’une unité de soins intensifs de niveau 1, alors qu’aucun n’atteint les niveaux 2 et 3 ».  A ce niveau,  sauf une justification apocalyptique peut élucider cet appel que recommande le Président dans son discours.

Cette pandémie qui frappe l’économie mondiale ne sera pas sans conséquence sur l’économie haïtienne. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), 25 millions d’emplois se trouvent menacés dans le monde dans la conjoncture actuelle. Or, une grande partie de la population haïtienne dépend totalement des transferts venant de l’étranger.  De tous les pays d’Amérique latine et de la caraïbe, Haïti reçoit de sa diaspora des transferts en termes de PIB les plus élevé, soit plus de 20%.  Dans un tel contexte, qu’est ce qui pourrait justifier l’appel au calme que recommande le Président de la république ?

En résumé,  ce discours politique qui se veut rassurant en appelant la population au calme est tout sauf rassurant. D’où l’idée d’une théâtralisation du discours politique n’est autre que le résultat, la conséquence de la mauvaise gouvernance et de la mauvaise gestion des fonds destinés à des politiques publiques de santé, d’éducation, de logements sociaux décents, pour n’en citer que ceux-là.

Covid-19 : Effort de conscientisation sur la gestion des fonds Petrocaribe

En guise de rappel, le fonds Petrocaribe est une alliance entre les pays des caraïbes et le Venezuela. Cet accord a été signe le 29 juin 2005 avec 13 pays et Haïti l’a intégré en 2006 sous la présidence de René Gracia Préval. Pour  chaque pays membre de l’accord, le prix du pétrole est fixé selon celui en vigueur sur le marché international. L’État importateur reçoit les produits pétroliers du Venezuela et les revend ensuite à ses compagnies pétrolières locales. Ainsi, les compagnies pétrolières locales achètent le pétrole, selon la valeur du marché international, au gouvernement, qui récolte ainsi de l’argent. L’Etat de son côté transfère un pourcentage de ce montant d’argent qui varie entre 40 et 70 % au Venezuela, et conserve le pourcentage du montant restant, entre 60 et 30 %, qu’il place dans un fond. A ce titre, le programme Petrocaribe permet non seulement la sécurité énergétique mais également favorise le « développement économique et social de la communauté des Caraïbes ».

Le 22 novembre 2014, le Ministre dominicain des finances, Simon Lizardo a signalé, l’impact positif qu’ont eu pour son pays les relations avec le petro caribe. Il a mentionné que le pays a reçu un financement de plus de 4 milliards 344 millions de dollars par concept d’importations dans le contexte de l’Accord de Coopération Énergétique de cette alliance pétrolière et les exportations ont atteint 155 millions de dollars dans un délai de 4 ans, dans le contexte du mécanisme de compensation de cet accord.

En Haïti, ces fonds qui pourraient certainement participer au redressement de la situation  socio-économique, au développement du pays en termes d’infrastructure, de la relance de l’agriculture, de la construction des hôpitaux ont été  l’objet d’une gestion opaque. Le Président haïtien, Jovenel Moise,  qui faisait un appel au calme face au Covid-19, serait, selon le premier Audit réalisé par la CSC/CA, l’un d’entre les dilapidateurs des fonds Petrocaribe et serait impliqué à un stratagème de détournement de fonds.

En effet, la cause de la vulnérabilité à outrance d’Haïti face au Covid-19 est le résultat d’un avarisme de la classe politique traditionnelle, insoucieuse de la misère du  peuple haïtien, stérile quant à l’idée de penser le développement, mettre en place un système sanitaire plus ou moins équipé pouvant répondre aux besoins de la population. Figurons, les six millions de dollars pour la construction de l’hôpital Simbi continental  sont envolés, sinon de nouvelles promesses sur le chantier continuent à faire surface.  Les seize millions de dollars pour le mégaprojet touristique de l’Île-à-Vache, vitrine de la nouvelle Haïti, sont gaspillés. L’herbe regagne le terrain perdu sur la piste de l’aéroport « international » qui n’a jamais vu un avion, et sur le « complexe » hôtelier, où jamais aucun touriste n’a mis un pied. Les quinze millions de dollars de Ti Manman Chérie, programme social ciblant les mères de famille, dilapidés et captés par quelques vingt milles bénéficiaires fictifs.  Réfléchissons-y !

En définitive, un effort de conscientisation concernant la gestion des fonds Petrocaribe peut sans doute montrer que le moment ne saurait être au calme. « Un nouveau rapport politique doit être mis en place. Un système qui instaure un nouveau rapport entre les citoyens, du citoyen à l’Etat et de l’Etat au citoyen. L’Etat doit garantir la capabilité des sujets », pour reprendre les phrases de Bernardin Larrieux dans son texte ‘’l’amateurisme et la crise permanente de la politique en Haïti’’.  Que cette période de crise sanitaire, marquée par une quasi impossibilité de confinement pour les plus précaires soit une nouvelle occasion pour la jeunesse haïtienne de continuer à se mobiliser pour demander des comptes.

ALCILIEN Ed, Étudiant en Master Droit Public, Faculté de Droit et de Science Politique, Université de Bordeaux.

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