Wall Street Journal range la Digicel parmi les entreprises en détresse financière : Ses plus de 4.5 millions de clients en Haïti ont-ils des raisons de s’inquiéter ?

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« The Wall Street Journal » range la Digicel parmi les entreprises en détresse financière. Ses plus de 4.5 millions  en Haïti ont-ils des raisons de s’inquiéter ?

Lundi 9 septembre 2019 ((rezonodwes.com))– Pour la deuxième fois, en moins d’un an, dans son édition du 27 août 2019, le plus grand quotidien économique et financier américain (2 millions d’exemplaires), The Wall Street Journal, a publié sous la rubrique « Bankruptcy/Distress », un article relatif aux difficultés financières de la première compagnie de télécommunications des Caraïbes (Digicel),  et  a informé ses nombreux lecteurs que » les obligations de Digicel ont plongé plus profondément dans le marasme après que l’opérateur mobile ait déclaré aux investisseurs que leurs bénéfices avaient diminué au dernier trimestre « 

Ce journal conservateur qui a soutenu des figures controversées d’Amérique latine, parmi lesquelles le Chilien Augusto Pinochet, le Péruvien Alberto Fujimori, l’Argentin Jorge Rafael Videla et le Brésilien Jair Bolsonaro, dont le néolibéralisme est vanté malgré leur autoritarisme, dans une publication datée du 25 septembre 2018 et titrée «   Digicel extends refinancing deadline as bondholder talks continue »(Digicel repousse la date limite pour le refinancement alors que les pourparlers avec les obligatoires se poursuivent), avait déjà, en effet, carrément, identifié la Digicel comme une entreprise financièrement en détresse et menacée par la faillite.

Rappelons que la détresse financière  est un terme utilisé dans le financement des entreprises pour indiquer une situation dans laquelle les promesses faites aux créanciers d’une entreprise sont brisées ou honorées difficilement. 

Elle peut mener, si elle ne peut être soulagée, à la faillite(Bankruptcy) . La détresse financière est généralement associée à certains coûts pour l’entreprise; ceux-ci sont appelés coûts de détresse financière .

Si le surendettement est la cause de difficultés financières , comme c’est le cas pour la Digicel l’entreprise peut se restructurer . Si des raisons opérationnelles sont à l’origine de la détresse, la société peut négocier un congé de paiement avec ses créanciers et améliorer ses opérations afin de pouvoir faire face au remboursement de sa dette.

Les 4.5 millions de clients de la Digicel ont-ils des raisons de s’inquiéter ?

Même si la presse en Haïti en  parle très peu, on connaît , malgré tout ,  certains détails relatifs aux difficultés financières de la Digicel.

En effet, selon l’agence américaine de notation Fitch, les remboursements à l’échéance de ses obligations commenceront en avril 2021. Cette agence  estime que la restructuration de sa dette(6.5 milliards USD en 2018)  l’année dernière, a sapé la position du groupe vis-à-vis des créanciers et entraînera des coûts de refinancement plus élevés, ainsi qu’un accès réduit aux marchés des capitaux, en particulier pour la dette subordonnée de Digicel Group Limited.

« Les perspectives de désendettement matériel sont faibles, sans actions ni cessions d’actifs supplémentaires », a déclaré Fitch.

Les échéances totales de la dette de Digicel sont estimées , aujourd’hui, à 6,97 milliards USD: avec des versements de 1,3 milliard USD prévus pour avril 2022; 2,9 milliards USD supplémentaires en 2023; et 2,56 milliards USD supplémentaires pour le remboursement au-delà.

La dette totale de la plus grande compagnie télécom de la Caraïbe représente plus de 6,7 fois son bénéfice d’exploitation. Digicel s’attend à ce que ses niveaux d’endettement augmentent de 7,0 fois ses bénéfices d’ici 2020, mais a déclaré précédemment que les détenteurs d’obligations ne devraient pas être trop inquiets de cette augmentation, car ils prévoient de réduire leur endettement au fil du temps.

Digicel a enregistré une baisse de 4,1% de son chiffre d’affaires brut, qui s’est établi à 2,3 milliards USD en mars, tandis que son bénéfice d’exploitation est tombé à 1,06 milliard USD, en baisse par rapport à 1,08 milliard USD l’année précédente. Ses flux de trésorerie disponibles se sont améliorés pour passer de la valeur négative(- 245,6 millions USD) à la valeur négative(- US $ 93,6 millions). Digicel a précédemment attribué la chute de ses revenus à des coûts exceptionnels.

Les services de  Digicel  ont débuté à la Jamaïque, La compagnie de Denis O’Brien couvre désormais 32 marchés internationaux. La somme de ses investissements s’est élevée à 5 milliards de dollars.

Fitch a noté que depuis 2015, le groupe avait investi 2,6 milliards USD en dépenses d’investissement afin de moderniser le réseau et d’assurer sa compétitivité. L’agence de notation avait précédemment indiqué qu’elle avait relevé la note de Digicel Group de RD au niveau CCC, ce qui est un cran au-dessus de la valeur par défaut.

Cependant, tout cela suffit-il pour que le quotidien économique et financier le plus vendu au monde  range la Digicel parmi les entreprises en détresse financière(Distress) ou en faillite(Bankruptcy) ?

Surtout que Digicel n’est pas sans options

Digicel  a  des options à sa disposition pour tenter de remonter la pente. Certains experts pensent que Digicel Pacific Limited, qui héberge le marché traditionnellement le plus rentable du groupe, la Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG), n’a aucune dette. Alors que l’économie de la Papouasie-Nouvelle-Guinée se redressait, après quelques années difficiles, ils estiment que Digicel pourrait collecter des fonds en faisant flotter cette unité.

Les mêmes experts ne mentionnent pas la vente de la filiale de Digicel en Haïti (Digicel -Haïti) comme faisant partie de la solution ou comme étant une des options possibles. Beaucoup de raisons peuvent expliquer ce fait . L’incertitude et les risques énormes que présentent le marché Télécom en Haïti sont très peu susceptibles d’attirer les investisseurs. D’autre part, la situation politique particulière que vit Haïti poussent certains observateurs à penser que seuls des investisseurs « politiquement motivés » peuvent vouloir, aujourd’hui, prendre la place d’un opérateur que beaucoup continuent  à penser ( à tors ou à raison) qui caresse  aussi des objectifs non commerciaux et entrepreneuriaux et qui est « politiquement fiché ».

Le groupe pourrait , selon d’autres spécialistes, également accélérer les ventes d’actifs, ayant récemment signé des accords de cession-bail sur des tours mobiles. 

Par ailleurs, le géant français des télécoms Orange détient 346 millions d’euros sur un compte dû à Digicel à la suite d’un jugement rendu en 2017 par un tribunal parisien pour avoir abusé d’une position dominante sur le marché entre 2000 et 2005 dans les Antilles françaises. Un appel de cette décision doit être entendu au début de l’année prochaine. Au cas où cet appel serait rejeté ou n’aboutirait pas à un changement de la décision du tribunal parisien, cela peut aussi aider dans cette quête d’argent frais pour payer la dette.

Cependant les experts croient  en même temps que Denis ‘O’Brien aura besoin de beaucoup de choses pour lui permettre de maintenir la tête au dessus de l’eau  dans les 18 prochains mois  et éviter ce que les analystes de Moody’s pourraient appeler une restructuration de la dette « en détresse »

Les 4.5 millions de clients de la Digicel ont-ils des raisons de s’inquiéter ?

Haïti représente, en importance,  le second marché de la Digicel, après celui de la Papuasie Nouvelle Guinée, avant le marché de la Jamaïque . Les revenus de la Digicel en Haïti avoisinent les 20% des entrées globales de la compagnie provenant de ses plus de 31 marchés de la Caraïbe , du Pacifique et de l’Amérique latine.  

Sur un total  d’un peu plus de 13 millions de clients dans ses différents marchés, Haïti compte plus de 4.5 millions d’usagers du réseau de la Digicel.

 Avec un taux de change  des plus volatile, un taux d’ inflation qui avoisine les 20%, une situation politique des plus instables et un environnement légal et réglementaire à la fois inadéquat et désuet, le marché des Télécom en Haïti présente le paradoxe d’être à la fois un secteur où les opérateurs ont toutes les libertés et  toutes les contraintes. C’est un marché ou l’incertitude et l’imprévisibilité règnent en maitre.

Le  jugement de « The Wall Street Journal » renforce la nécessité et le besoin de réforme du secteur en Haïti

Somme toute ce dernier jugement porté par le quotidien économique le plus vendu au monde  sur la situation financière du premier opérateur[1]  téléphonique en Haïti doit être pris pour ce qu’il est.

 Même s’il fait soulever de nombreuses questions quant à l’avenir de cet opérateur du secteur Télécom en Haïti, il ne doit pas nous alarmer . Ni être ignoré non plus.

Nous devons saisir cette opportunité pour comprendre la nécessité et l’urgence de réformer le secteur afin de garantir un meilleur environnement pour les affaires et de bien meilleurs services à la population en Haïti.

 Nous devons arrêter de nous voiler la face et à faire croire que le décret du 12 octobre 1977 peut encore aider à encadrer une évolution positive du secteur Télécom en Haïti. Nous devons aussi arrêter de faire passer le temps (dilatoire), nous mentir à nous-même et résister à toute idée de changement véritable dans le secteur.

Saurons-nous, élites de ce pays, faire à temps tous les dépassements nécessaires , comprendre le sens de l’Histoire et répondre  à l’appel du pays profond pour changer cette situation et arrêter cette descente aux enfers ? Là est toute la question.  The Wall Street Journal  , évidemment, n’a  pas la réponse.

Pour la pleine édification de nos lecteurs, nous publions les deux  textes du quotidien New Yorkais relativement à la détresse financière du groupe Digicel parus les 25 septembre 2018 et 27 août 2019 sous la plume, respectivement, de Lillian  Rizzo et Alexander Gladstone.

https://www.wsj.com/articles/caribbean-telecoms-bonds-tumble-after-earnings-drop-11566948616 https://www.wsj.com/articles/digicel-extends-refinancing-deadline-as-bondholder-talks-continue-1537906462

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