Au MUPANAH, en mai 1985, un groupe d’étudiants du secondaire du CIC des Gonaives, lors d’une visite guidée par une cicérone savant à peine ce qu’il faisait, nous (les étudiants de la Terminale I du CIC) étions très émus et avions demandé à nous recueillir devant l’urne contenant les restes de Toussaint Louverture. Ce fut un grand moment de méditation. Le silence fut net et complet. Nous entendions des voix du cœur remercier l’ancien général pour la route tracée à l’indépendance du pays. Ses moindres faits et actes de bravoure posés, relatés dans l’histoire, nous revenaient en mémoire.
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Ensuite, nous nous sommes rappelé des dernières paroles de Toussaint adressées à son fils Placide en France, avant de prendre des chemins distincts, pour ne plus se revoir de leur vivant. Il lui avait clairement dit : « Mon enfant, vous reviendrez un jour à Saint Domingue. Oubliez que la France a assassiné votre père« . Nous avions dès lors compris qu’en fait, le général parlait de lui. De ce qui restera de lui quand il sera entré dans sa gloire. Qu’un jour viendrait où sa terre natale, sa vraie patrie allait le rétablir dans toute la dimension de son être, pour avoir livré à succès, le vrai combat, suivi d’actes concrets avec une relève bien assurée.
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Grande fut notre stupéfaction d’apprendre, à la lumière d’une première correspondance échangée en novembre 1982, entre la Chancellerie haïtienne et le Consulat de France, qu’il n’y ait que de petites pelletées de terre recueillies au Fort-de-Joux, à être introduites dans une urne. Si les restes de Toussaint Louverture étaient aussi facilement repérables et indexés, tout comme ceux de Jean-Pierre Boyer, reposant au cimetière Père Lachaise, en France, le président Lysius Salomon, en 1883, serait le premier chef d’état haïtien à rendre hommage au grand génie de la race noire. M. Salomon connaissait la Métropole mieux que tout autre passé ou futur chef d’état haïtien, pour y avoir longtemps vécu dans les missions diplomatiques haïtiennes à Paris.
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Geste symbolique à défaut d’entrer en possession de ses vrais restes, on peut être tous tombés d’accord, mais persister à faire croire que Toussaint Louverture, à sa mort, a regagné sa patrie, dans une urne, c’est farfelu. Ce mensonge historique perd bien longtemps l’essence de sa dimension. Si l’Empereur Dessalines, mort à 40 ans, a attendu presque 48 ans (octobre 1845) pour être placé sous l’autel de la patrie; le gouverneur-général de St-Domingue, quant à lui, a eu le président Lysius Salomon avoir en premier, une pensée bien spéciale pour sa personne.
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En 1883, soit quatre-vingt (80) années plus tard après sa mort, toute trace de remonter aux restes de Toussaint Louverture, était déjà dissipée.
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Son âme titulaire veillait sur la jeune patrie en mal de créer un Etat-Nation, vilipendé par des apprentis-dictateurs. Il y eut même des documents, avant les grands travaux de restructuration du Fort, vers 1876, relatant de la prise en charge des restes de Toussaint par son fils Isaac. Tout ceci pour expliquer que les pelletées de poussière recueillie au Fort-de-Joux, sur requête du « gouvernement à vie« , n’a plus sa raison d’être.
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Avant Jean Claude Duvalier, en novembre 1982, deux autres anciens présidents d’ Haïti Sténio Vincent et François Duvalier se planchaient sur la question. Ils avaient eux aussi manifesté un intérêt particulier, dans les recherches sur l’exactitude de l’emplacement des restes du général Toussaint, aux fins de rapatriement. Ils écrivirent une lettre d’intention à leurs homologues français.
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Toussaint inhumé dans une fosse commune
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Il eut été dit au premier, président Vincent, que les travaux de rénovation effectués au Fort-de-Joux, entre 1876-1880, avaient permis le déplacement de tous les ossements en une seule fosse commune. Donc il devenait impossible, voire difficile de remonter à l’emplacement exact où le Génie de la race noire fut inhumé. Vincent, probablement, voulait faire apparaître un sens de patriotisme éclairé, pour couvrir l’ombre de l’occupation, période au cours de laquelle, son gouvernement excellait en zèle.
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Au second, Papa Doc, écarté et un peu méprisé sur la scène internationale pour le qualificatif de despote, en s’auto-proclamant président à vie, le général De Gaule déclara une fin de non recevoir. Ensuite, il ajouta « …quel intérêt ont ces gens à réclamer les restes d’un ancien général français« . Pour Charles De Gaule, Toussaint serait un français. Il était venu mourir dans son pays dans une totale promiscuité.
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Et le fils du tigre, Jean-Claude Duvalier, a apparemment réussi. Quel succès ? « Malfini volé li pa jwen’n ti poul li pran pay« . Probablement JCD anticipait. Aucun problème, il est servi et les cérémonies pompeuses ont lieu le 7 avril 1983.
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Pour l’histoire et pour la vérité, est reproduit en-dessous, l’extrait d’une correspondance écrite de Jean-Robert Estimé adressée à Marcel Barthélemy, Ambassadeur de France à Port-au-Prince.
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Port-au-Prince, le 11 novembre 1982
Monsieur l’Ambassadeur,
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Me référant à nos dernières conversations, j’ai l’honneur de vous adresser, par la présente, au nom du Gouvernement Haïtien, une requête officielle afin que le gouvernement français accepte à restituer à la République d’Haïti les restes de Toussaint Louverture et ceux de Jean-Pierre Boyer, qui se trouvent respectivement aux fort de Joux dans le Jura et au Père-Lachaise à Paris.
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Le Gouvernement haïtien n’ignore pas les difficultés inhérentes au repérage et à l’identification des ossements de Toussaint Louverture, dont la dépouille mortelle avait été placée dans une fosse commune qui fut soumise à divers mouvements de terrain sur laquelle, semble-t-il, des constructions auraient été érigées depuis lors.
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S’il s’avère vraiment impossible de retrouver avec certitude les restes du Grand Précurseur, le peuple et le gouvernement haïtiens souhaiteraient que la France, dans un geste de grande portée symbolique, remettre à la nation Haïtienne, avec l’éclat et le faste qu’elle jugera nécessaires, une urne contenant de la terre provenant de l’emplacement où le corps a été inhumé.
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Restes ou une urne pourraient être solennellement installés au Musée du Panthéon national à l’occasion de son inauguration en avril 1983.
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En vous remerciant des suites que vous voudrez bien donner à la présente requête, je saisis cette occasion pour vous renouveler, Monsieur l’Ambassadeur, les assurances de ma très haute considération.
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Jean-Robert Estimé Secrétaire d’Etat