Haïti demeure, selon les observateurs critiques, à une distance considérable de conditions électorales comparables à celles du 16 décembre 1990, souvent cité comme le dernier scrutin véritablement pluraliste du pays. « À l’époque, moins de quatre ans après le 7 février, l’appareil d’État n’était pas saturé d’agents de dépendance et de clientélisme politique », rappelle Josué Renaud, de la New England Human Rights Organization, estimant que le contexte actuel rend illusoire toute promesse d’“élections crédibles” à court terme.
Port-au-Prince, 30 décembre 2025 —
La volonté affichée du Premier ministre de facto et chef d’un gouvernement de doublure, Alix Didier Fils-Aimé, de conduire Haïti vers une élection présidentielle dans un délai de huit mois suscite une vive contestation au sein des milieux socio-politiques, intellectuels et juridiques. Pour le défenseur des droits humains Josué Renaud, une telle perspective constitue « un danger manifeste pour la patrie », dans la mesure où elle ignore des déficiences structurelles majeures du dispositif électoral, au premier rang desquelles figurent près de 800 000 doublons recensés dans la base de données de l’Office national d’identification, fragilisant la fiabilité juridique du registre électoral et, partant, la sincérité du scrutin.
Réagissant à la visite du chef du gouvernement au Conseil électoral provisoire, mardi, et au communiqué laconique de la Primature présentant un calendrier électoral « crédible » pour 2026, Dr Renaud dénonce une opération de communication sans assise légale ni cohérence institutionnelle.
Il s’interroge sur un point resté sans réponse publique : le Premier ministre a-t-il évoqué devant les conseillers l’existence des 800 000 doublons dans le registre d’identification ? Projeter un président « élu » dès août prochain, sans leaders identifiés, partis structurés ni sécurité minimale, reviendrait, selon lui, à exposer le pays à de nouvelles fraudes électorales, à l’image du scrutin de 2011.
La critique se fait plus incisive lorsqu’elle aborde la question de la légitimité. « En vertu de quel texte« , s’interroge Renaud, « le candidat malheureux aux sénatoriales de l’Ouest peut-il se permettre d’engager l’État au-delà du 7 février 2026 ? » Dépourvu de mandat parlementaire, le chef du gouvernement exerce une autorité issue d’arrangements transitoires dont la durée et la portée restent juridiquement contestées. « Le pays a déjà payé le prix d’un exécutif tout-puissant, prolongé sans contrôle démocratique ; persister dans cette voie revient à institutionnaliser l’exception », prévient-il.
Alors que la Primature invoque l’unité, la stabilité et l’appui de la communauté internationale, les détracteurs y voient la répétition d’un schéma déjà éprouvé : un pouvoir central qui anticipe l’échéance électorale sans répondre aux préalables constitutionnels, sociaux et sécuritaires.
Enfin, pour Josué Renaud, le débat excède largement la question du calendrier. Le Premier ministre, « un grand danger pour le pays », soutient-il, « peut tout dire, tout promettre, tout inventer », sauf conduire des élections crédibles alors qu’il agit dans le cadre d’une mission transitoire sans fondement constitutionnel, une dérive qu’il juge lourde de conséquences pour l’avenir institutionnel du pays.

