29 décembre 2025
La faune haïtienne malade de la peste
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La faune haïtienne malade de la peste

Un mal vieux comme nos douleurs,
Mal né des hommes, de leurs peurs,
Des deals signés dans l’ombre au fond des ministères,
La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),
Capable, en une nuit, d’engloutir tous les fonds,
Faisait aux bêtes d’Haïti la guerre la plus amère.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient tremblants :
Le sol vibrait de bruits de gangs, de tirs, de hurlements.
Plus d’oiseaux sur les fils, plus de chants dans la plaine,
Les sources se taisaient, polluées de gangrène.
Ni mangouste ni hibou n’épiaient dans le noir
Le moindre rat fuyant vers le prochain trottoir.

Les chèvres amaigries, au Morne, se pressaient,
Craignant les routes où les camions passaient ;
Les chiens eux-mêmes, jadis rois des arrière-cours,
N’osaient plus aboyer au milieu des faubourgs.
Les hérons sur la grève évitaient le rivage,
Chargé d’huiles, de déchets, de vilain héritage.

Le Roi Lion d’Haïti, vieux monarque créole,
Réunit un grand Conseil au pied d’une caïmitier frivole.
Là se trouvaient, nerveux, silencieux,
Un vieil Aigle de l’étranger, le Vautour impérieux,
Quelques Cochons joufflus qui sentaient la douane,
Et le Chacal-toujours-lisse, en veston, en savane.

Le Lion dit :
« Mes amis, je crois que le Ciel en courroux,
Et peut-être nos Ancêtres lassés de nous,
Ont permis ce malheur pour nos fautes communes.
Que le plus coupable d’entre nous
Se sacrifie sous le poids de ce courroux,
Peut-être obtiendra-t-il la guérison pour la faune entière et pour chacune.

L’Histoire nous apprend qu’en pareille saison
On cherche un seul coupable à livrer à prison.
Ne nous flattons donc pas, regardons avec science
L’état réel de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes instincts de grand roi,
J’ai protégé maints loups qui se repaissaient de toi,
Peuple de bêtes sans voix, paysans, animaux de somme ;
J’ai laissé vendre le bois, la mer, la terre, les hommes.
J’ai signé des accords qu’on ne m’avait même pas lus,
Contre des prêts dorés et des sourires velus.

Je me dévouerai donc s’il le faut, j’y consens ;
Mais que chacun ici parle clair, franchement.
Dans tout organisme malade, en bon biologiste,
Je sais que le virus n’est jamais seul sur la liste.
Nommons nos fautes, que la vérité nous purge,
Ou que ce pays meure enfin de notre subterfuge. »

Le Chacal-ministre, souple en sa belle veste, dit :
« Sire, vous exagérez ; votre noblesse nous pèse.
Avoir signé quelques papiers, donné quelques terres en lisière,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous fîtes, Majesté,
De ces mornes sans titre un objet de fierté.

Les forêts qu’on a rasées ? Elles gênaient le progrès.
Les rivières en béton ? Pour mieux dompter leurs attraits.
Et quant à ceux qu’on chasse des bas quartiers,
On peut dire sans délai
Qu’ils étaient faits pour la misère,
Sans ambition, sans lumière.

Vous n’êtes, Sire, en vérité,
Qu’un père mal conseillé.
Sans vous, ce pays serait pire,
Laissez donc au hasard le soin de nous guérir. »

À ces mots, les Flatteurs, Coyotes et Hyènes,
Applaudirent fort, oubliant leur propre haleine.
On n’osa trop fouiller, par crainte de remous,
Dans les comptes du Vautour, dans les deals du Hibou,
Ni dans les sacs gonflés du Cochon sénateur,
Qui engraissait au blé des prêts et des bailleurs.

Tous les braillards publics, jusqu’aux petits Matins,
Furent traités, ce jour-là, comme de pieux saints.
Le Tigre des frontières qui rançonnait les routes,
L’Ours importateur noyant le pays de doutes,
Furent, à l’unanimité, jugés « indispensables » :
« Sans eux, point de diesel, point d’armes, point de câbles. »

Alors vint à son tour un maigre cabri gris,
Tout timide, des quartiers perdus de Cité-Sans-Abri.
C’était un simple Âne, aux sabots fêlés de faim,
Mais qu’en Haïti l’on nomme parfois « Ti-Malheurin ».
Il dit :

« Moi, je me souviens qu’un soir, fuyant les détonations,
La peur, la nuit, la faim et la confusion,
Et peut-être quelque diable profitant du vacarme,
Je broutai dans un champ une touffe verte et calme.

C’était un lopin qu’un vieux Porc possédait
Avec papiers en règle et sceau de notaire parfait.
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net,
Mais mes côtes criaient plus fort que la loi de vos registres muets. »

À ces mots, toute l’assemblée, comme un seul tambour,
Cria : « Haro sur l’Âne ! Qu’il paie pour nos détours ! »
Un Loup un peu clerc, formé dans une grande école,
Prouva d’un ton docte qu’il fallait faire un exemple symbolique et drôle :

« Ce misérable animal, ce galleux, ce pelé,
Voilà l’origine, mes amis, de tous nos maux, croyez !
Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable !
Attenter à la propriété, ce totem vénérable !

Tandis que nos seigneurs se contentent d’investir,
Lui, détourne des brins d’herbe pour survivre et dormir.
Sa peccadille, à la lumière de nos codes respectables,
Devient, juré craché, une faute impardonnable.

Rien que la mort n’est capable
D’expier un forfait aussi peu présentable ! »

On lia donc l’Âne, maigre bête de somme,
Comme si sous sa peau gisait la faute de tout un royaume.
Le Vautour murmura : « Il faut rassurer les marchés. »
L’Aigle ajouta : « J’applaudis, c’est bien jugé. »
Les Cochons signèrent, la truffe pleine de vin,
Et le Chacal conclut : « L’ordre revient demain. »

Le matin suivant, quand on pendit le pauvre Âne,
Le ciel resta muet, la mer garda sa lame.
La Peste poursuivit sa ronde dans les bourgs,
Traçant sur chaque front un cercle trop lourd.
Les gangs riaient plus fort, les fleuves se retiraient,
Les sols nus craquaient comme des peaux trop serrées.

Au fond d’un labo obscur, un petit Rat savant,
Biologiste discret, penché sur ses éléments,
Observait sous le verre une goutte de sang trouble,
Chargée de parasites, de mensonges en double.

Il nota sur son cahier :
« Ici, le mal n’est pas dans la fièvre seule du corps,
Mais dans les lois d’une forêt où le plus fort a toujours raison d’abord.
Tant qu’on pendra l’Âne pour absoudre les Lions,
Le pays restera l’hôte d’innombrables infections. »

Et il conclut, en grattant la marge d’un air noir :

« Selon que tu seras puissant ou misérable,
Dans cette île au soleil parfois si redoutable,
Les jugements de cour, tribaux ou internationaux,
Te laveront plus blanc que neige ou te feront plus sale que la boue des caniveaux.

La Peste ici change de masque et de décor,
Mais garde même règle, même mépris du plus faible encore.
La faune survivra, mais son sol restera noir,
Tant qu’on fera du pauvre la preuve de tous les torts à chaque soir. »

Patrick Prézeau Stephenson , décembre 2025

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