Chant de résistance sous la peau du sacré
Sous ce ciel que nous portons sur les épaules,
lourd comme une charge de sel,
franchir le seuil d’une église
ou rester pieds nus dans la maison,
murmurer une prière à même la gorge,
verser de l’eau fraîche sur la terre chaude,
dresser une lampe nourrie d’huile et de patience,
entrer dans le cercle d’un rite
où les tambours respirent avec le sang,
se mêler aux fêtes du pays,
corps contre corps,
sueur et poussière,
allumer une bougie,
une seule flamme
contre tant de nuit,
devient un geste vivant,
un corps qui refuse de tomber.
Même sans pain.
Même sans lendemain.
Depuis quelque temps,
prononcer le mot Noël
tremble sur la langue.
Notre misère est nue.
Les valeurs se dispersent
comme des braises sous la pluie.
Les traditions se fanent,
feuilles sèches balayées par la peur.
Nos yeux sont fatigués.
Nos mains aussi.
Même les médias,
jadis porteurs de chaleur,
se taisent.
Silence de tombe.
Autour des chants de Noël,
ces mélodies qui faisaient danser les rues,
vibrer les maisons,
battre les cœurs
comme des tambours de veille.
La nostalgie demeure,
blessée.
Mirage fragile :
on croit la toucher,
elle recule.
Et pourtant, Noël insiste.
Avec la pudeur d’une étoile timide
dans un ciel sans promesses.
Avec la fragilité d’un enfant
qui tient tête aux ténèbres
sans armure,
sans cris.
Elle nous appelle encore.
À voix basse.
Elle vit en nous
comme un arbre ancien,
planté dans la mémoire,
refusant la mort.
Qu’un accord de Tino Rossi glisse dans l’air,
qu’un refrain du Bossa Combo réchauffe l’ombre,
ou que la Noël d’Arly Larivière
effleure nos sens fatigues,
et quelque chose se lève :
un battement ancien,
un sursaut de mémoire,
une parcelle d’espérance.
Mais dis-nous, Noël,
qu’es-tu vraiment ?
Un récit sacré ?
Une légende polie par le temps ?
Une fête empaquetée dans les vitrines ?
Ou ce carrefour fragile
où se croisent foi et doute,
poésie et silence ?
Noël est aussi un voyage intérieur.
Un pas vers l’enfant que nous fûmes.
Vers ces visages
qui veillent encore en nous,
même quand la peur
a pris l’habitude de dormir chez nous.
Noël signifie
pardon.
Grâce.
Mais surtout,
Noël est un appel.
Un appel à la lumière.
Une lumière
qui ne tombera pas du ciel.
Ni le Père Noël,
ni l’Enfant Jésus
ne rebâtiront Haïti à notre place.
La foi éclaire,
mais elle ne marche pas pour nous.
Alors, malgré les nuits longues,
rallumons la braise.
Souffle après souffle.
Redonnons à la solidarité
sa place première :
non comme miracle,
mais comme discipline du cœur.
Aimons Haïti avec courage.
Aimons sans honte.
Car la lumière que nous réclamons
commence par celle
que nous osons porter.
Et quand il n’y a presque rien,
partager un peu
devient immense.
Un plat simple.
Une prière.
Un chant dans la nuit.
Ainsi,
nous ne demandons plus à Noël de nous sauver.
Nous la portons dans la chair.
Dans un plat partagé.
Dans une main tendue.
Dans un chant qui ose encore naître
au milieu des ruines.
La violence promet la fin.
Nous répondons par la vie.
Et tant qu’un souffle d’amour
circulera sous ce ciel brisé,
le mal n’aura jamais le dernier mot ,
seulement le dernier bruit.
Marnatha I. Ternier, 22 décembre 2025

