22 décembre 2025
Prof. Bleck D. Desroses : Géopolitique de la frontière et enjeux sécuritaires
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Prof. Bleck D. Desroses : Géopolitique de la frontière et enjeux sécuritaires

par Bleck  D. Desroses, professeur de Géopolitique

La frontière constitue un enjeu géopolitique majeur dans la pensée de F Ratzel. Pour ce géographe allemand, cette ligne de démarcation ne constitue pas une simple cloison juridique, mais un organisme vivant, un baromètre géopolitique, directement lié à la puissance et à la vitalité de l’État. Elle révèle le niveau de sécurité, la capacité de défense d’une entité politique. Sa surveillance revêt une importance capitale pour la sécurité nationale et l’ordre public. Car, elle représente à la fois une ligne de souveraineté et un espace de vulnérabilité stratégique. 

En effet, c’est fréquemment par les frontières qu’un État ennemi cherche à déstabiliser un autre, ou qu’une organisation criminelle parvient à infiltrer un territoire, en y introduisant des circuits illégaux, des armes ou des réseaux de criminalité. 

Le contrôle effectif des frontières apparaît ainsi comme un élément fondamental de la défense nationale et de la stabilité politique. Selon Jean Gottmann : « le territoire est la base matérielle du pouvoir politique ; sa délimitation et sa défense conditionnent la stabilité de l’État. »

La surveillance des frontières relève de la responsabilité essentielle de l’État par le biais des forces armées, de la police et des services de renseignement. Qu’elles soient terrestres, maritimes ou aériennes, elles constituent une première ligne de défense contre les menaces externes et les infiltrations des bandes criminelles. 

Un État qui néglige ce contrôle s’expose inévitablement à des problèmes sécuritaires graves. C’est le cas d’Haïti, où l’importance stratégique des frontières dans la sécurité nationale a souvent été sous-estimée ou totalement négligée depuis près d’un demi-siècle. Le renforcement des surveillances frontalières apparaît ainsi comme une condition indispensable pour la stabilité politique et la protection du territoire national. C’est en ce sens que Raymond Aron soutient que :« la sécurité d’un État commence par la maîtrise de ses frontières ; leur surveillance est la condition première de la stabilité nationale. »

Depuis la chute de Jean-Claude Duvalier en 1986 et la démobilisation des Forces armées d’Haïti en 1995, la surveillance des frontières a perdu de son importance aux yeux de l’État haïtien. Cette négligence politique a contribué à la fragilisation de la sécurité nationale et à l’augmentation des infiltrations des organisations criminelles. Ce n’est que face à la dégradation constante des conditions sécuritaires du pays que la nécessité de contrôler les frontières nationales devient évidente et s’impose de nos jours comme une urgence nationale. Nos dirigeants ont oublié ou ignoré que : « la frontière n’est pas seulement une ligne sur une carte : elle est une institution politique majeure » (Michel Foucher :1991)

Le contrôle des frontières : une urgence sécuritaire

Pour faire face au problème de l’insécurité en Haïti, il est impératif de reprendre progressivement le contrôle de nos frontières, notamment terrestres, avec la République dominicaine. La ligne frontalière entre les deux pays s’étendant sur 376 kilomètres, demeure largement hors de contrôle du côté haïtien. 

Cette porosité facilite l’entrée illégale d’armes et de munitions, souvent en provenance des États-Unis via la République dominicaine, contribuent à la déstabilisation de notre territoire. Les menaces à la sécurité d’un État proviennent souvent de la porosité de ses frontières, facilitant la circulation des acteurs violents non étatiques (Barry Buzan :1991) 

Pour y parvenir, cela requiert alors la mise en place d’un État moderne avec une bureaucratie administrative opérationnelle, efficiente soumise aux lois du mérite, de la compétence transversale et de la formation académique exigeante. Au préalable, l’on doit épurer et renforcer la Police, moderniser les Forces armées, mettre en place un Service de renseignent efficace et recycler les Agents douaniers.

Rôle de certaines institutions dans la surveillance des frontières

La reconquête des frontières est une lutte pour la souveraineté effective. Elle ne saurait toutefois être envisagée sans une coordination institutionnelle rigoureuse. À cet égard, le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de la Défense, appuyés par la Secrétairie d’État à la Sécurité publique, la Douane et la Police apparaissent comme les piliers de cette mission cruciale pour la restauration de l’autorité de l’État et garantir la paix intérieure.

Relevant du Ministère de l’intérieur, le service de l’Immigration aux frontières aura pour tâche de contrôler les flux de personnes, appliquer les lois migratoires et assurer la légalité des mouvements (voyage, commerce, tourisme etc.). Sa tâche consistera, en outre, à gérer les situations irrégulières (trafic, sans-papiers), en collaboration avec d’autres instances. Dans un État moderne, cette entité est appelée à jouer un rôle crucial dans la sécurité nationale.

Vient ensuite le service des Douanes chargé de la fiscalité sur les échanges extérieurs, du contrôle des marchandises et des produits. Sa mission consistera aussi à lutter contre les trafics illégaux et la contrebande. La surveillance douanière est extrêmement importante pour la sécurité de l’État et de la population.

Dans tous les pays même les plus mieux organisés, les agents douaniers sont souvent sollicités par des groupes criminels organisés qui cherchent à les persuader d’abuser de leur pouvoir pour faciliter des activités illicites. Plus l’accès aux locaux et aux systèmes informatiques est sécurisé, plus ces groupes tenteront d’influencer les douaniers par la corruption et parfois par des menaces physiques. D’où l’importance d’un service de renseignement aux frontières.

Son rôle est d’identifier les agents corrompus, analyser les menaces (criminalité organisée, espionnage…), déceler les fraudes documentairesanalyser les flux migratoiresidentifier les personnes à risque. Ce travail, une fois accompli, il analyse les données avant de partager les informations avec instances décisionnelles en charge de l’intégrité territoriale et de l’ordre public.

De son côté, la Police aux frontières représentera le bras armé de la Douane et du service de l’Immigration dans la lutte contre l’immigration irrégulière, la contrebande et les réseaux criminels. Elle aura, par ailleurs, la mission de sécuriser les lignes frontalières et les affaires transfrontalières. 

L’œuvre sécuritaire exige une grande coordination institutionnelle. Elle devra faire intervenir les Forces armées dont le rôle aux frontières est de protéger le territoire national contre les menaces extérieures, d’assurer la surveillance des zones terrestres, maritimes et aériennes, de soutenir les forces de police dans des missions complexes, de défendre la souveraineté nationale en collaboration avec les Douanes et les forces policières.

Il ne fait aucun doute, la frontière est un pilier central de la sécurité nationale. Elle est à la fois espace de souveraineté  zone de vulnérabilité stratégique, comme l’a souligné Ratzel. Le cas haïtien illustre de manière éloquente les conséquences graves d’une négligence prolongée du contrôle frontalier sur la stabilité politique et la sécurité intérieure. 

La porosité des frontières favorise l’infiltration des réseaux criminels et alimente durablement l’insécurité. Face à cette réalité, la reconquête des frontières s’impose comme une priorité nationale fondée sur une coordination étroite entre les institutions civiles, policières, douanières, militaires et de renseignement. Ce n’est qu’à ce prix qu’Haïti pourra restaurer son autorité territoriale, reconquérir sa souveraineté et poser les bases de sa stabilité politique.

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