Haïti n’est pas un fardeau, Haïti est un miroir.
Par Ralf Dieudonné JN MARY
Salutations
Monsieur le Président des États Unis d’Amérique,
Monsieur Donald J. Trump,
Je vous adresse ces mots non en tant que votre homologue, car je ne le suis pas, mais en tant que simple citoyen haïtien, enseignant de profession, héritier d’une histoire lourde, mais porteur d’une conscience libre.
Permettez moi de commencer par ce que beaucoup ont oublié : le respect n’est pas une faiblesse. Elle est le fruit ou la preuve d’une bonne éducation.
Même lorsque la parole se fait dure, même lorsqu’elle semble humilier, l’homme bien éduqué ne répond pas par l’arrogance, mais par la hauteur. C’est depuis cette hauteur humaine, morale et historique que je vous écris aujourd’hui.
Je choisis de vous écrire en français, non par arrogance ni par manque de prudence, mais parce que c’est ma langue maternelle, celle dans laquelle je pense et ressens le plus profondément. Je sais que certains pourraient y voir une ironie, ou critiquer le fait que je parle la langue des anciens colons. Mais maîtriser cette langue n’est pas une faiblesse : c’est un atout, un outil pour comprendre et déjouer les stratégies de ceux qui, sous prétexte d’amitié, tentent encore d’influencer ou de limiter le destin de mon pays. Je souhaite simplement que ces mots soient traduits fidèlement par des natifs américains pour que vous puissiez les recevoir dans toute leur sincérité et leur force.
Vous êtes un homme qui a dirigé la première puissance mondiale et qui la dirige encore. Cela, personne ne peut vous l’enlever. Et c’est précisément pour cette raison que vos paroles comptent, résonnent, influencent, et parfois blessent. Dans une récente intervention largement diffusée, vous avez qualifié les immigrés haïtiens d’individus improductifs, dangereux et incapables de contribuer à la société américaine.
Ces mots ont voyagé. Ils ont traversé les océans. Ils ont atteint Port au Prince, New York, Miami, Montréal, Santiago, Paris. Ils ont atteint le cœur d’un peuple que l’histoire a déjà suffisamment éprouvé.
Mais permettez moi de vous dire ceci, avec calme et lucidité : nous ne recevons pas vos propos comme une insulte.
Souvent, ce sont des paroles dérangeantes qui rappellent aux sages ce qu’ils oublient. Vos paroles, Monsieur le Président, ne nous humilient pas. Elles nous réveillent.
Monsieur le Président,
Avant toute analyse, avant toute géopolitique, permettez moi de raconter une scène simple.
À Miami, des infirmiers haïtiens terminent un service de douze heures. Ils ont veillé sur des corps fragiles, tenu des mains tremblantes, annoncé des vérités difficiles. Le lendemain, ils reprendront le même chemin, non par héroïsme, mais par devoir. À New York, des entrepreneurs haïtiens paient leurs impôts, créent de l’emploi, élèvent leurs enfants. À Boston, des étudiants haïtiens travaillent de nuit pour financer leurs études le jour.
Ils ne font pas de bruit.
Ils ne demandent pas d’applaudissements.
Ils participent.
Une question simple, mais essentielle
Monsieur le Président,
Si les Haïtiens sont improductifs, dangereux et incapables de contribuer à la société américaine, permettez moi une question sincère :
pourquoi les États-Unis ont-ils construit l’une de leurs plus grandes ambassades au monde en Haïti ?
La diplomatie a son langage silencieux. La taille d’une ambassade révèle toujours le niveau d’intérêt stratégique d’un pays. On n’investit pas autant dans un territoire jugé insignifiant. On ne mobilise pas autant de ressources là où il n’y aurait rien à comprendre, rien à surveiller, rien à préserver.
Haïti n’est pas un hasard. Haïti n’a jamais été un hasard.
Et pourtant, malgré cette reconnaissance stratégique, certaines décisions récentes semblent vouloir réduire la visibilité de notre peuple. La décision d’exclure les supporters haïtiens de la Coupe du monde 2026 aux États-Unis pourrait sembler un obstacle. Mais Haïti ne se mesure pas à la présence de spectateurs dans les stades. Même sans supporters, Haïti brillera. La force de notre pays ne dépend pas des applaudissements étrangers, mais de l’esprit inébranlable de ses enfants, de leur talent, de leur passion et de leur détermination à représenter dignement notre nation sur le monde entier. Cette Coupe du monde sera l’occasion de rappeler que Haïti rayonne, même quand on tente de l’éteindre.
Nous avons enterré trop de rêves pour encore croire que nous n’avons rien à offrir.
Un fouet pour l’ego, un appel à l’unité
Vos paroles, Monsieur le Président, sont un fouet.
Non pas pour nous faire plier, mais pour fouetter l’ego endormi des Haïtiens.
Elles nous rappellent une vérité que nous avons trop longtemps évitée : nous n’avons pas besoin d’être neuf pour sauver Haïti.
Nous avons seulement besoin d’être unis.
L’histoire ne se construit pas par la multiplication des dirigeants, mais par la convergence des consciences. Ce n’est pas le nombre qui fait la force d’un peuple, c’est sa capacité à marcher ensemble dans une même direction.
Le temps est venu pour les Haïtiens d’arrêter d’attendre le salut d’ailleurs.
Le temps est venu de construire l’Haïtien et l’Haïti de demain, avec nos mains, notre intelligence, notre dignité.
La crise invisible de l’Amérique
Monsieur le Président, permettez moi maintenant une vérité moins confortable.
Les États-Unis traversent une crise depuis leur fondation. Une crise plus profonde que celle d’Haïti.
Ce n’est pas une crise économique.
Ce n’est pas une crise militaire.
C’est une crise de vulnérabilité.
L’Amérique a vendu au monde entier le rêve américain : être les meilleurs, les plus grands, les invincibles. Mais aujourd’hui, le monde a vu derrière le rideau. Il a compris que ce rêve, souvent, reposait sur une illusion soigneusement entretenue.
Quand un empire découvre sa propre fragilité, il devient nerveux, car il sait que cette vulnérabilité n’est plus un secret pour lui seul.
Quand il se sent vulnérable, il cherche des boucs émissaires.
Et Haïti, premier peuple noir libre de l’histoire moderne, sait mieux que quiconque comment un système qui s’enrichit sur la sueur et le sang des autres peut s’effondrer.
Ce savoir dérange. Cette mémoire inquiète. Alors on veut garder les haitiens au dehors.
Revenir construire notre propre maison
Voilà pourquoi vos paroles doivent devenir une leçon pour nous.
Il est temps pour les Haïtiens d’arrêter de courir vers ce qui est déjà bâti ailleurs.
Il est temps de revenir reconstruire notre propre maison.
Haïti n’est pas condamnée à l’échec. Elle est appelée à redevenir une référence dans la Caraïbe, non par arrogance, mais par responsabilité historique.
Nous avons donné au monde une leçon de liberté.
Il est temps de nous la redonner à nous-mêmes.
Appel à l’action
À ceux qui vivent en Haïti : rester et bâtir, même dans l’adversité, est un acte de courage politique.
À la diaspora : investir, transmettre, revenir, même partiellement, est une responsabilité historique.
Aux intellectuels, artistes, pasteurs, entrepreneurs : façonner l’imaginaire d’un pays est aussi important que construire ses routes.
Aux jeunes : refuser le cynisme est déjà une révolution.
Monsieur le Président,
Ceci n’est pas une lettre de haine.
C’est une lettre de vérité.
Et la vérité, lorsqu’elle est dite avec respect, n’a pas besoin de crier.
Haïti n’est pas un problème à gérer.
Haïti est une conscience que le monde n’a jamais totalement réussi à faire taire.
Vos mots ont voyagé.
Qu’ils servent, malgré eux, à réveiller un peuple.
Car lorsqu’Haïti se relève, ce n’est pas seulement pour elle-même.
C’est pour rappeler au monde entier que la dignité d’un peuple ne se mesure ni à sa pauvreté, ni aux jugements qu’on porte sur lui, mais à sa capacité à se tenir debout, encore et toujours.
On ne combat pas Haïti parce qu’elle est faible, mais parce qu’elle sait ce que coûte la liberté.
Ralf Dieudonné JN MARY
Éduquer, construire, se relever : voilà la véritable puissance d’un peuple libre.

