Haïti est, à bien des égards, cet État unique qui, surgissant sur la scène internationale au début du XIXe siècle, a provoqué le basculement de l‘ordre mondial colonial, esclavagiste et raciste. Il a ainsi ouvert le chemin de la liberté à tous les peuples opprimés, les damnés de la terre et redonné aux peuples noirs notamment la dignité humaine perdue. Si vrai que Victor Hugo, le grand poète français de l’époque, est allé jusqu’à s’exclamer : “ Haïti est une lumière”.
Haïti récolte aujourd’hui les fruits de son impertinence amplement salvatrice : forcée à payer le prix fort, elle se retrouve aux prises avec le même système, autrement construit et recomposé autour des mêmes principes d’exploitation, de domination et d’exclusion. Réduite deux siècles après à sa plus simple expression par le jeu macabre des puissances étrangères aidées des collabos locaux, Haïti subit aujourd’hui la pesanteur accablante et étouffante d’une situation d’ingérence étrangère grave et inacceptable. C’est dans cette dynamique de dépendance et d’ingérence que l’OEA, caisse de résonance par définition des puissances impérialistes, par le biais de son Secrétaire Général, Albert R. Ramdin, entend infliger à Haïti sa « Feuille de Route » unilatérale, représentant une insulte assénée à l’intelligence du peuple haïtien.
Comment oser parler d’une Feuille de Route pour Haïti, ‘’dirigée par Haïti’’, quand elle est conçue à l’insu d’Haïti et sans la participation d’Haïti ? Pourquoi, en effet, insister autant sur une soi-disant ’’Feuille de Route dirigée par Haïti ” quand l’OEA, son principal patron, ses subalternes et ses alliés, s’arrange pour tout faire en lieu et place d’Haïti? N’est-ce pas là, dès la porte d’entrée même, dès le titre du document, une inversion équilibriste sujette à suspicions et à interprétation ?
Il convient de souligner que l’élaboration d’une Feuille de Route unilatérale pour prétendre résoudre la crise de l’extérieur n’est ni plus ni moins qu’une usurpation de rôle et de titre, une violation flagrante du droit à la souveraineté d’un peuple haïtien qui, dès les premiers moments, a énoncé, écrit et cosigné avec les peuples frères les principes fondateurs de la Charte de la Société des Nations et de celle des Nations Unies par le biais de ses représentants, le Général Nemours, les diplomates Émile Saint-Lot et Joseph D. Charles.
L’OEA entend imposer sa propre vision déformée des faits, sa propre volonté aux nationaux haïtiens, comme s’ils n’étaient pas les premiers concernés dans la gestion de leur pays, et aussi les mieux placés pour appréhender la crise multidimensionnelle haïtienne dans sa complexité. Ces étrangers de l’OEA sont pressés de coller leur narratif et interprétation à la réalité haïtienne. Ils choisissent sciemment de ne s’accrocher qu’aux aspects superficiels qui semblent les arranger. Et ils négligent intentionnellement les causes profondes et structurelles. De ce fait, ils ne peuvent prétendre avoir ni volonté ni intérêt à une solution effective de la crise haïtienne. Au contraire, ces étrangers de l’OEA s’exposent maladroitement aux regards sceptiques de la population haïtienne qui les suspecte légitimement de vouloir mettre en œuvre une feuille de route de tutelle.
Nous avons noté de multiples inexactitudes et impropriétés de langage ici et là dans le texte de la Feuille de Route de l’OEA ainsi que de nombreuses absences et silences qui en disent long sur leur projet inavoué, sans doute inavouable, de tutelle concernant Haïti.
D’abord, il convient de souligner dans la foulée que l’OEA traîne derrière elle une longue histoire d’échecs, une lourde responsabilité dans les élections frauduleuses et controversées de 2010 génératrices en grande partie de la crise actuelle, jouant ainsi aujourd’hui le triste rôle de ‘’pompier-pyromane’’ que lui reconnaît Ricardo Seitenfus, son ancien Représentant en Haïti.
Ensuite le rejet systématique, ouvert ou dissimulé, par les organisations internationales, l’OEA en tête, de toutes propositions alternatives nationales haïtiennes, susceptibles de conduire à la solution de la crise.
Là où, dans sa Feuille de Route, l’OEA parle de crise de gouvernance et de sécurité, il faut dire qu’il s’agit en réalité de la crise d’un système complexe, d’une multicrise d’un État anti-peuple, d’un État contre la Nation, opérant sous la dictée et au profit des puissances impérialistes contre les intérêts supérieurs de la Nation.
Finalement on a pu relever une focalisation à dessein par l’OEA sur les aspects superficiels et conjoncturels au mépris des causes structurelles profondes de la crise… Or pas de solution viable à la crise sans une analyse correcte et la prise en compte effective des causes profondes à son origine.
Nombre de questions restent à soulever notamment au sujet des priorités nationales qui honnêtement ne sauraient être définies de l’extérieur à l’insu du peuple haïtien et en son nom au mépris des données de base incontestables, d’où l’impératif d’une Feuille de Route Indigène conçue par les Haïtiens pour Haïti, d’où la tenue du Woumble National, dans le prolongement de la Journée Internationale des Droits Humains.
Tenant compte du spectre effrayant du vide institutionnel qui se profile à l’horizon,
Dans quelles formes de lutte engager aujourd’hui nos compatriotes Haïtiens à prendre en mains leur destin de peuple, par quelle stratégie parvenir à construire ‘’l’unité historique de peuple’’ susceptible de sortir notre pays du chaos forgé à dessein ?
Comment et par quels mécanismes contrôler, limiter et stopper la machine infernale d’ingérence des puissances étrangères dans le pays ?
Étant donné les conséquences désastreuses de la crise à tous les niveaux, quels sont les principaux défis à relever dans le pays et comment les relever?
Le moment est fragile, le vide institutionnel est dangereux. Tout compatriote avisé et responsable (dirigeant de parti ou citoyen patriote), se devrait d’observer les principes d’un Code de Conduite facilitant une sortie de crise réussie à Haïti et des sanctions légales pourraient même être prévues, liées à la violation desdits principes. Quels seraient ces principes ? Quelles pourraient être ces sanctions ?
Autant de questions, entre autres, à soulever dans le cadre de ce Woumble National : Vers une Feuille de Route Indigène pour une sortie de crise.
Directoire de la CUTRASEPH

