Tampon en laisse : pour l’amour d’un visa
Dans les couloirs tièdes du pouvoir,
on entend cliqueter
une chaîne invisible.
Elle ne vient pas du peuple,
ni des mornes ni des rues fendillées,
mais d’un bureau climatisé
au nord du monde,
où un tampon peut décider
du destin d’un homme.
Alors ils marchent,
costumes impeccables,
épaules droites,
regards fuyants —
non pas vers l’avenir d’Haïti,
mais vers la porte qui s’ouvre
sur un visa renouvelé.
À chaque hésitation,
l’ombre d’une révocation
leur mord la nuque.
Et les voilà qui signent,
qui approuvent,
qui répètent des discours
qu’on leur souffle
comme des prières d’une religion
qui n’est pas la leur.
Ils parlent de souveraineté,
mais leurs mots tremblent
dès que Washington éternue.
Ils disent servir la nation,
mais leurs genoux connaissent
trop bien la position
où l’on attend l’approbation
du maître du moment.
Pendant ce temps,
le pays regarde,
lassé,
épuisé,
le tambour du courage
battant encore quelque part
dans les veines d’un peuple
qui n’a jamais su plier aussi bas.
Un jour, peut-être,
Haïti reprendra la parole
qui glisse entre les doigts de ses dirigeants.
Un jour, peut-être,
on brisera la laisse du visa
comme on brise une mauvaise habitude.
Et les politiciens apprendront enfin
qu’un homme libre
ne demande jamais
la permission d’être debout.
Elensky Fragelus

