L’Edito du Rezo
“Territoire perdu” : le retrait de Sunrise met à nu la réalité de Mais-Gaté
La suspension des opérations de Sunrise Airlines au départ de Port-au-Prince, annoncée dans un contexte de tension armée persistante autour de l’aéroport Toussaint-Louverture, intervient à contretemps des déclarations officielles. Le 18 novembre, le commandant des FAd’H vantait la solidité du dispositif militaire déployé autour de la plateforme aéroportuaire. Pourtant, l’un des principaux opérateurs domestiques, bénéficiaire de financements publics estimés à plusieurs millions de dollars, juge désormais impossible d’assurer ses liaisons dans un espace aérien exposé aux tirs et aux menaces directes. Cette rupture opérationnelle oblige à interroger la capacité réelle du pouvoir de facto : quelles mesures le Conseil présidentiel de transition (CPT) et la Primature dirigée par Alix Didier Fils-Aimé ont-ils effectivement adoptées pour restaurer un environnement sécuritaire et logistique élémentaire ? Et surtout, quel opérateur pourra combler le vide stratégique laissé par le retrait de Sunrise ?
L’éloignement de la compagnie met en lumière une réalité qui dépasse le simple secteur aérien : la difficulté croissante de l’État à exercer la moindre maîtrise territoriale. Dans un pays où le transport aérien domestique représente souvent le seul outil de continuité territoriale — routes impraticables, corridors contrôlés par des factions, enclaves isolées — la perte d’un transporteur majeur s’apparente à une dislocation de souveraineté. L’évaluation du bilan du CPT devient inévitablement liée à une interrogation centrale : comment justifier dix-huit mois d’exercice transitoire sans rétablissement des infrastructures vitales, sans diminution des zones d’emprise armée et sans restauration des chaînes institutionnelles essentielles ?
Cette fragilité interne se projette directement sur la scène internationale. En mars 2026, l’Administration fédérale de l’aviation (FAA) doit réexaminer la suspension des vols directs entre Port-au-Prince et les États-Unis. Le retrait d’un transporteur domestique accentue les doutes quant à la capacité du pays à satisfaire les exigences de sûreté aérienne. Difficile d’envisager une réévaluation positive lorsque la capitale n’assure même plus des conditions minimales permettant à une compagnie locale de décoller sans exposition immédiate à des risques armés. Dans ce contexte, une question émerge : avec le retrait de Sunrise de l’aéroport de Port-au-Prince, la possibilité de faire atterrir les Grenadiers dans la capitale avant leur premier match au Mondial ne s’effondre-t-elle pas progressivement, à un moment où la sécurité constitue désormais le critère décisif ?
Cette dynamique conduit enfin à un constat plus large. À Mais-Gaté, Sunrise se retire d’un aéroport que le général des FAd’H présentait encore le 18 novembre comme pleinement maîtrisé, révélant avec netteté l’écart persistant entre communication institutionnelle et situation réelle. Ce départ ne relève pas d’un simple incident commercial ; il signale une désarticulation profonde de l’appareil étatique, incapable de protéger un opérateur qu’il a pourtant soutenu financièrement. À l’approche des flux liés à la Coupe du monde 2026, l’absence d’un système aérien intérieur robuste met à nu une fragilité structurelle sans précédent. Le bilan du CPT et de la Primature Fils-Aimé apparaît dès lors marqué par un triptyque préoccupant : inertie administrative, effacement de la capacité décisionnelle et déconnexion persistante entre discours officiels et réalité opérationnelle.

