par Me Kedlaire Augustin
Il a fallu attendre la fin du mandat du CPT et surtout la cinglante mise en garde du chargé d’affaire américain pour que certains leaders politiques et certains membres de la presse haïtiens commencent à reconnaître que cette formule de gestion politique qui a donné naissance au CPT ne pouvait donner aucun résultat positif.
Décidément, L’opportunisme et la manipulation deviennent des vertus politiques en Haïti. Ce sont les armes politiques que les maîtres et les gardiens du système utilisent pour le protéger l’entretenir et le régénérer. La plupart des critiques adressées au CPT à quelques mois de la fin de son mandat recèlent de l’hypocrisie et de la démagogie.
La plupart de ceux et celles qui critiquent amèrement le CPT aujourd’ hui arrivent trop tard dans un monde trop vieux
Les critiques que la presse et les acteurs politiques adressent au CPT à moins de quatre mois de la fin de son mandat interviennent à un moment où tout semble avoir été déjà accompli, où il n’y a plus de grands idéaux à défendre, d’avenirs à bâtir, d’échec à éviter. Le coup est donc sans remède !
Pourtant, ils auraient pu aider la population à construire un narratif objectif pour empêcher l’adoption et l’application de cette formule de gouvernance mort née. Les conséquences de ce choix et la complicité passive de ceux et celles qui l’ ont cautionné doivent être partagées et assumées.
L’ echec du CPT était non seulement prévisible, mais encore annoncé par quelques esprits indépendants et lucides. Malheureusement leurs interventions n’ ont pas eu l’écho mérité au niveau de la population, de la communauté internationale, des partis politiques et des acteurs de la société civile les plus représentatifs.
Comme dirait l’ autre, tout était sous contrôle pour que les membres du CPT terminent tranquillement leur mandat. La transition a échoué mais ils ont réussi. Ce n’ est pas étonnant qu »ils osent prendre la liberté de se positionner comme l’une des alternatives envisagées pour succéder à eux-mêmes après la fin de leur mandat le 7 février 2026.
Ce que certains leaders politiques et journalistes disent aujourd’hui contre le CPT, c’ est ce que je n’avais pas cessé de dire au moment de le mettre en place. Dans un texte que j’ ai publié après la nomination de Garry Conille, j’ai écrit ceci :
< < Le CPT est fragile et instable, car il est monté sur une base inégalitaire, déséquilibrée et discriminatoire. L’objectif de tout parti politique étant de prendre le pouvoir, s’ il y est déjà, son objectif est alors de le garder. >>
Les critiques généralement adressées au CPT relevaient de la manipulation et de la démagogie politiques
Plusieurs secteurs et acteurs politiques avaient préféré observer une attitude réaliste pour ne pas dire opportuniste. En faisant appel au sens de dépassement des conseillers, à leur patriotisme et à leur grandeur d’âme,
Ils avaient, consciemment ou pas, choisi de vendre à la population des voeux pieux de paradis sur terre.
Pourtant, le premier geste patriotique à faire était d’accepter et d’ encourager la contradiction et la diversité au niveau des acteurs politiques engagés dans la bataille pour la conquête du pouvoir et de respecter les règles du jeu démocratique.
Exiger à des partis politiques qui ont des lignes idéologiques différentes, des stratégies de gestion politique divergentes et des candidats différents, de diriger ensemble est un acte à la fois dictatorial et démagogique.
Au lieu de dénoncer cette ineptie, cette ignominie nationale, la démarche d’une grande partie de la presse consistait à demander aux membres du CPT de pratiquer l’ingratitude à l’ égard des partis politiques et des secteurs qui les ont choisis et la fidélité à l’ égard de la population qui les a désavoués aux dernières élections et qui attend le moment opportun pour récidiver.
Quelle absurdité !
En réalité, ce n’ etait qu’ une fine stratégie visant à protéger le CPT. Même les partis politiques qui ont des représentants et qui jouissent des privilèges du pouvoir feignent de dénoncer vigoureusement ses résultats. Ils n’osent pas remettre en question le système et les motivations réelles qui lui ont donné naissance. C’ est tout simplement de la diversion politique.
Par ailleurs, aussi graves et aussi fondées qu’elles puissent être, les accusations dont certains membres du CPT sont l’ objet ne sont que des diversions politiques destinées à détourner l’attention de la population des vraies causes de l’échec de la transition.
Dès lors, la stratégie consistait à trouver des boucs émissaires pour faire porter le poids de l’échec de la transition. Ils minimisent tout débat relatif au fondement conceptuel et à la finalité de la formule de gouvernance mise en oeuvre par la communauté internationale, les acteurs politiques et la société civile pour donner naissance au CPT et pour désigner les autorités qui le dirigent.
Des critiques non pas pour exprimer des positionnements politiques hostiles mais pour garantir des repositionnements stratégiques
De tout cela, il faut retenir une chose qui est simple : la plupart de ceux et celles qui se montrent les plus virulents à l’ égard du CPT aujourd’ hui n’étaient pas sots avant et ne sont pas devenus plus intelligents maintenant. La vérité est que les fins de règnent s’accompagnent toujours de ces gestes spectaculaires et de ces mouvements d’abandon, de reniement et de repositionnement politiques en Haïti.
Ils ont certainement compris qu’ il y a un pouvoir qui débutait, un autre qui prend fin et un autre encore qui arrive après le 7 février 2026. Toutes ces étapes offrent des opportunités politiques à saisir. En Haïti, il n’ y a presque pas de frontière entre réalisme politique et opportunisme politique. Comme dirait l’ autre, tout était sous contrôle : la violence des mots, les analyses, le timing, etc.
La transition devient non seulement une stratégie et une fin en soi, mais aussi une conception du pouvoir et une alternative pour y accéder. Elle n’est pas seulement un moment et une circonstance politiques exceptionnels, mais aussi une opportunité, une doctrine politique exceptionnelle qui a son postulat, ses partisans, ses concepts, sa méthode, son mode de raisonnement, sa stratégie de mise en oeuvre. Ses adeptes utilisent la manipulation, le mensonge et la démagogie comme outils de travail.
Au-delà des révélations sensationnelles et stratégiques, des dénonciations calomnieuses et sélectives, des accusations fantaisistes et diffamatoires et des stigmatisations malhonnêtes et méchantes, qui ne sont, d’ailleurs, qu’une forme indécente d’expression des luttes de pouvoirs, la transition demeure la cause principale de l’instabilité politique et du blocage du processus démocratique en Haïti.
La transition devient de plus en plus indispensable au fonctionnement des partis politiques et de la société civile, voire à leur existence. Elle est pour eux une zone de confort, un paradis qui les libère des sacrifices et de l’ incertitude des élections, de la rigueur de la loi et des règles du jeu démocratique.
Si l’ on tient compte des objectifs avoués de la transition et des prétendues motivations qui ont justifié la conception et la mise sur pied du CPT, ce dernier partira mais la transition ne prendra pas fin tant que chaque secteur, chaque parti politique, chaque acteur politique puissant qui se croit plus légitime que les autres n’accède au pouvoir.
Voilà comment des acteurs politiques expérimentés, qui s’autoproclament patriotes nationalistes et démocrates convaincus conçoivent le pouvoir en Haïti. Cette triste et déconcertante réalité constitue une crise dans la crise et doit être abordée avec le sens du sérieux. C’ est plus qu’ une crise société. C’ est un drame national!
La communauté internationale peut commencer, déjà, à préparer la prochaine transition que connaîtra le pays, non seulement à l’ issue du mandat du CPT le 7 février 2026 mais encore après l’organisation des prochaines élections et la passation du pouvoir à un Président élu. L’arme infernale dont les protagonistes de la crise actuelle disposent pour garantir la stabilité de la transition est évidemment la constitution de 1987 amendée.
Enfin, je voudrais souligner que la passation du pouvoir à un gouvernement élu le 7 février 2026 n’est pas gage de stabilité. Dans cette perspective, il faut absolument relancer le débat autour de la question constitutionnelle, si l’ on veut définitivement mettre fin à cette transition qui n’ en finit pas, pour reprendre les termes utilisés par Raymond Dumas pour parler de l’instabilité politique en Haïti.
Jeudi 23 octobre 2026
Kedlaire Augustin
ex-Sénateur de la République

