Gazette officielle de 1802 : Leclerc fabrique la “soumission” de Dessalines pour couvrir l’arrestation de Toussaint
La Gazette officielle du 23 juin 1802 présente une version soigneusement construite de la crise coloniale : Charles-Victor Leclerc affirme que Jean-Jacques Dessalines se serait soumis loyalement et aurait même rompu avec Toussaint Louverture. Cette narration, largement relayée par l’administration coloniale, fonctionnait comme un dispositif destiné à isoler Toussaint et à donner une apparence de légitimité à son arrestation et à sa déportation. Le texte officiel décrit un Dessalines obéissant, désireux de collaborer avec l’expédition française, au moment même où les rapports internes du corps expéditionnaire soulignaient les hésitations, les non-dits et les signaux de rupture imminente.
Les archives militaires montrent que Leclerc avait besoin d’une figure noire “fidèle” pour démontrer à Paris que la colonie restait gouvernable après la capture de Toussaint. La proclamation fabriquait cette image, tout en minimisant les tensions visibles dans l’Artibonite et dans le Nord. Plusieurs officiers français – Hardy, Boudet et Pamphile Lacroix – avaient déjà décrit Dessalines comme un acteur imprévisible, prudent, engagé dans une recomposition stratégique plutôt que dans une soumission sincère.
La version officielle voilait donc un processus plus complexe : Dessalines repositionnait ses forces, reprenait discrètement contact avec Christophe et consolidait l’appareil militaire qui mènera à la campagne de 1803. Cette dynamique contredit la narration propagée par la Gazette. La supposée “soumission” n’était qu’une construction politique destinée à masquer la fragilité de l’expédition française, à rassurer les planteurs et à justifier l’exil forcé de Toussaint Louverture.
recherches : cba
lire texte original tiré de Gazette officielle, édition du 23 juin 1802
PROCLAMATION
Au quartier-général du Cap, le 23 Prairial an 10.
Le Général en chef, Capitaine-Général de la Colonie de Saint-Domingue, aux Habitans de Saint-Domingue.
Citoyens,
Toussaint conspirait ; vous en jugerez par une lettre ci-jointe adressée au citoyen Fontaine. Je n’ai pas dû compromettre la tranquillité de la Colonie. Je l’ai fait arrêter, embarquer, et je l’envoie en France, où il rendra compte de sa conduite au Gouvernement français. Dans une autre lettre adressée au citoyen Fontaine, il s’emporte en invectives contre le général Christophe, et il se plaint que le général Dessalines l’a abandonné.
Il avait défendu à Sylla de mettre bas les armes, et aux cultivateurs de ne travailler à d’autres plantations qu’à celles de leurs vivres.
Il avait envoyé un de ses complices au général Dessalines, pour l’engager à ne pas se soumettre de bonne foi : le général Dessalines me l’a déclaré.
Il comptait beaucoup à Saint-Marc sur Manissit : il est arrêté.
J’ai cru devoir sévir contre ce grand coupable, et j’ordonne aux généraux de division de l’armée de faire rentrer de vive force tous les cultivateurs qui sont encore errants dans les montagnes.
Les cultivateurs ne sont pas les plus coupables, ce sont ceux qui les égarent. En conséquence, tout commandant de garde nationale, tout officier, tout gérant ou propriétaire qui sera trouvé dans un rassemblement armé, sera fusillé de suite.
Quant à la commune d’Ennery, j’ordonne qu’elle sera désarmée sur-le-champ, pour avoir été si longtemps à se soumettre.
Le général Brunet fera de suite exécuter cet ordre.
Le chef de l’état-major fera imprimer, publier et afficher le présent ordre avec la lettre du général Toussaint : il enverra de suite à toute l’armée et dans toute la Colonie.
Signé : LECLERC.
À venir : une lettre de Toussaint Louverture transmise à la Gazette officielle par Leclerc. qui aurait conduit à son arrestation

