3 novembre 2025
L’Edito du Rezo – L’histoire vous regarde, Monsieur Desrosiers
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L’Edito du Rezo – L’histoire vous regarde, Monsieur Desrosiers

Le président du Conseil électoral provisoire, Jacques Desrosiers, ancien journaliste de renom, est désormais confronté à un mandat dont la portée dépasse toute carrière individuelle. Il occupe une fonction définie par la Constitution haïtienne de 1987, amendée, notamment en ses articles 191 à 199, lesquels confèrent au Conseil électoral le monopole de l’organisation des élections, – pas de referendum – dans l’indépendance et la neutralité. Or, cette neutralité est menacée lorsque le pouvoir exécutif ou transitoire s’arroge le droit de désigner des conseillers par consensus politique et non par légitimité institutionnelle.

Monsieur le Président,
vous n’êtes pas le premier journaliste à présider un Conseil électoral provisoire. On se souvient du précédent qui, sous la présidence de Jocelerme Privert, avait ignoré les recommandations de la Commission indépendante d’évaluation électorale (CIEV). En validant des résultats contestés, il avait permis l’installation d’une cinquantième législature marquée par la corruption systémique, au mépris du principe de sincérité du scrutin consacré par l’article 191.1 de la Constitution. Vous arrivez aujourd’hui dans un contexte d’effondrement institutionnel où la légitimité politique ne se mesure plus à la loi, mais à la survie.

Le Conseil Présidentiel de transition (CPT), entité dépourvue de base constitutionnelle, par des manoeuvres habiles, vous a fait désigner à la majorité relative de cinq voix sur neuf. Cette élection interne, juridiquement fragile, traduit déjà une fracture politique. Or, la mission que vous acceptez de conduire — l’organisation d’élections dans un pays contrôlé par des groupes armés — viole l’esprit même de l’article 58 de la Constitution, selon lequel la souveraineté nationale réside dans l’universalité des citoyens. Comment garantir cette souveraineté quand une partie de la population est séquestrée par la peur ?

Le révérend Malory Laurent, lors de son sermon dominical à Brooklyn, rappelait : “Il ne peut y avoir d’élections libres tant que les gangs contrôlent les rues.” Cette parole, loin d’être religieuse seulement, rejoint l’analyse juridique : aucune élection n’est valide si la liberté du vote est compromise. La doctrine électorale haïtienne, comme l’ont rappelé Me Monferrier Dorval et Bernard Gousse, fonde la légitimité des urnes sur la sécurité du citoyen et l’indépendance de l’administration électorale. Ces deux conditions n’existent plus.

Pire encore, le CPT, par la distribution de “fonds politiques” sous prétexte de financer les partis, crée une dépendance économique qui contrevient à l’article 31.1-2 sur la liberté d’association et au principe d’égalité entre les formations politiques. L’usage de la “monnaie électorale” pour obtenir des signatures ou des adhésions détourne le processus de son objectif : restaurer la confiance publique.

Monsieur Desrosiers, vous savez que la fonction journalistique enseigne le discernement. Le Conseil électoral, lui, exige la probité. Nul besoin d’avoir étudié le droit électoral pour comprendre que participer à une mascarade d’élections sous contrainte viole le principe de bonne foi institutionnelle consacré par la jurisprudence du Tribunal administratif dans plusieurs décisions relatives à la neutralité des organismes publics.

Le pays a traversé dix années sans élections régulières. Ceux qui en portent la responsabilité sont les mêmes qui, aujourd’hui, orchestrent cette hâte suspecte à vouloir légitimer leur pouvoir par les urnes. Leur empressement ne traduit pas la volonté de rétablir l’ordre constitutionnel, mais celle de prolonger l’impunité. Et vous, en homme de presse devenu arbitre, ne pouvez ignorer cette mécanique.

À la fin du mois de janvier, Transparency International publiera son rapport 2026 sur la corruption. Il pointera inévitablement la gestion du CPT et l’absence de redevabilité dans les institutions publiques. Le Conseil électoral, en acceptant ou en tentant d’organiser un scrutin dans un tel contexte, se rendrait complice d’une violation de la Constitution et des engagements internationaux d’Haïti, notamment ceux issus de la Convention interaméricaine contre la corruption de 1996.

L’histoire, Monsieur Desrosiers, ne se souviendra pas des justifications politiques, mais des silences moraux. La seule voie patriotique qui demeure ouverte est celle du retrait conscient, avant que le Conseil électoral ne se transforme en chambre d’enregistrement d’une fraude planifiée. Le patriotisme, ce n’est pas d’obéir ; c’est de résister lorsque la légalité est devenue façade.

Le pays vous regarde, non comme un président de doublure de conseil, mais comme un Homme qui sait reconnaître, mieux que quiconque, quand la vérité est menacée. Et cette vérité, aujourd’hui, ne s’écrit plus à la plume du journaliste, mais à la conscience du citoyen.

La Rédaction
Éditorial du jour – Rezo Nòdwès

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