Par Ralf Dieudonné JN MARY
Il y a quelque temps, j’ai adressé une lettre ouverte au Président Ibrahim Traoré. Une lettre sincère, écrite avec le cœur d’un Haïtien qui croit encore que les peuples peuvent s’inspirer mutuellement, que les voix de dignité peuvent traverser les océans. Cette lettre n’était pas seulement un message à un dirigeant africain : c’était un appel à nous-mêmes, un miroir tendu à notre propre conscience nationale.
Récemment, une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux a attiré mon attention. Elle imitait la voix et l’image du Président Ibrahim Traoré, donnant l’impression qu’il s’adressait directement à Haïti. En analysant le contenu de ma lettre et celui de cette vidéo, on pourrait être tenté de voir dans cette dernière un écho de certains faits que j’avais soulevés. Bien que ma lettre ne soit pas mentionnée, plusieurs éléments abordés dans cette vidéo rappellent des faits que j’avais mis en lumière.
Mais après vérification, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une fabrication produite par l’intelligence artificielle. Aucun lien réel avec le Président, aucune démarche officielle, aucune parole authentique.
Voici pourquoi ce discours est une fabrique dans les lignes qui suivent :
En regardant attentivement cette vidéo où le président Ibrahim Traoré semble s’adresser au peuple haïtien, on sent immédiatement que quelque chose cloche. Le visage apparaît presque détaché de son environnement, comme si la lumière et les ombres ne suivaient pas les lois naturelles. Les mouvements de tête sont étrangement rigides, le regard reste fixe et le clignement des yeux se fait avec une régularité qui semble mécanique. La peau est trop lisse, presque plastique, tandis que les zones autour du visage conservent une texture normale. L’audio, lui, est curieusement parfait, sans souffle ni bruit ambiant, et la voix semble glisser légèrement hors du rythme naturel des lèvres. Mais ce qui rend la situation encore plus suspecte, c’est qu’aucun grand média au Burkina Faso n’en parle. Si c’était vraiment un discours officiel du président Ibrahim Traoré, il aurait été relayé par les sites crédibles du pays et par la RTB. Tous ces indices réunis construisent un tableau clair : ce discours n’est pas authentique, il présente tous les signes classiques d’une fabrication par intelligence artificielle et ne peut être considéré comme un message officiel.
Pourquoi a-t-on fabriqué ce discours ?
Peut-être que la personne ayant réalisé cette vidéo l’a fait avec de bonnes intentions. Peut-être voulait-elle fouetter l’orgueil des Haïtiens, secouer notre torpeur, provoquer un sursaut. Sur ce point, son intention peut être sincère. Mais on peut être sincère… et sincèrement dans l’erreur. Car faire parler une haute personnalité internationale sans son consentement, même pour lui faire dire des choses fortes, nobles ou motivantes, n’est pas un acte honnête, éthique ou authentique. Cela manque d’intégrité. Et une véritable révolution ne peut naître que d’un acte intègre.
Une vraie révolution commence dans le cœur. Par une décision ferme. Une volonté claire : celle de ne plus accepter d’être la risée du monde. Aujourd’hui, être Haïtien est devenu un fardeau. Dans bien des endroits, Haïti nous suit comme une ombre lourde. La perception mondiale nous colle à la peau. Et pourtant, cette image, nous pouvons la changer. Si nous le décidons aujourd’hui.
Cela commence par la manière dont nous nous percevons nous-mêmes. Arrêtons de parler mal de nous-mêmes. Cessons de dénigrer nos semblables lorsqu’on s’adresse aux étrangers. Refusons de publier sur les réseaux sociaux tout ce qui salit notre image collective. Ne restons plus silencieux face aux injustices qui minent notre société.
Il nous faut aussi dénoncer une pratique devenue courante sur les réseaux sociaux : ces publications où l’on affiche les photos de personnalités haïtiennes pour demander qui devrait être président. Une photo ne signifie rien. Elle ne confère ni légitimité ni compétence. Diriger un pays demande bien plus qu’un visage séduisant ou un nom populaire. Chaque citoyen doit développer sa propre capacité d’analyse pour discerner qui mérite son vote. On ne doit pas voter sous l’influence des stratégies virales, des effets de mode ou des manipulations numériques.
Ce texte n’est donc pas une réponse au Président Ibrahim Traoré. Il n’a rien à voir avec lui. Il est une réponse à nous-mêmes. Une invitation à prendre conscience de la faiblesse de notre image, mais aussi de la puissance de notre potentiel. Une invitation à nous lever.
Nous pouvons changer Haïti. Nous pouvons transformer notre histoire. Mais cela commence par une décision intime, personnelle, radicale : celle de se regarder autrement, de se respecter, de se valoriser, de se discipliner, de se battre pour ce qui est juste.
Haïti redeviendra respectée lorsque les Haïtiens se respecteront eux-mêmes.
Avec respect, lucidité et détermination,
Ralf Dieudonné JN MARY
Port-au-Prince, Haïti.