Il y a des nouvelles qui foudroient, des mots qui transpercent comme la lame de l’injustice. Celle annonçant la mort de Schultz Laurent Junior, de son vrai nom Laurent Jean Schultz Junior en fait partie. Poète, enseignant, chroniqueur et journaliste culturel haïtien, il a été assassiné à Philadelphie (États-Unis), loin de Port-au-Prince, son pays natal. La plume d’un homme de culture s’est éteinte, mais son écho, lui, résonne encore. Dire qu’il est mort poignardé hier matin, le 28 octobre 2025.
Ce matin-là, tout semblait paisible. D’ordinaire, je me réveille à l’aube, vers cinq heures du matin. J’aime ces instants calmes où je parle à ma fille, Chloé Clément Benoît, ma passion, ma folie, mon souffle de vie. Mais ce mercredi-là n’avait rien d’un matin ordinaire.
L’ouragan Mélissa avait enveloppé le pays d’une atmosphère lourde. La journée fut déclarée chômée. Pour la première fois depuis longtemps, je m’étais permis de rester au lit. Allongé, téléphone en main, je parcourais distraitement les notifications envoyées par Martine Elsie BAZILE , mon assistante senior, celle qui gère mon agenda et le projet Livres en Liberté.
Puis, sans m’y attendre, mes yeux sont tombés sur un article du Nouvelliste. Et tout s’est arrêté.
« Schultz Laurent Junior a été assassiné aux États-Unis. »
Les mots m’ont frappé comme un éclair dans un ciel d’orage. J’ai relu la phrase plusieurs fois, incrédule. Et, sous le choc, j’ai laissé un commentaire à Roberson Alphonse, rédacteur du Nouvelliste :
« Roberson, est-ce que tu es sérieux ? » Puis, presque aussitôt, j’ai ajouté : » Anmweeeey ! «
Je ne doutais pas de sa crédibilité; Robinson est un journaliste respecté mais j’espérais, au fond de moi, que ce fût une erreur.
Qui était Schultz Laurent Junior ?
Né le 15 juillet à Port-au-Prince, Schultz Laurent Junior fut un homme de lettres complet. Il avait étudié au Collège Canado-Haïtien, au Centre d’Études Secondaires et à l’Institution Georges Marc, avant de se spécialiser en communication et journalisme. Pédagogue passionné, il enseignait la littérature haïtienne et l’éducation à la citoyenneté dans plusieurs établissements de la capitale.
Dans le domaine du journalisme culturel, il collaborait avec des médias comme Le Nouvelliste, Le National, La Scène, Écho Ayti, C3 Hebdo et La Tribune. On le reconnaissait à sa plume fine, à ses critiques justes et à son amour sincère pour la culture. Il fut rédacteur en chef de La Scène et directeur de rédaction d’Écho Ayti, qu’il signait parfois sous le pseudonyme Gary Émile.
Mais Schultz Laurent Junior était avant tout un poète du sensible, un artisan du verbe. Ses recueils: Bouquet d’amour, Et si mon cœur te chantait, Des printemps fanés, Cime et Océan et Sur les traces de l’aube, témoignent d’une âme douce et lucide. Ses poèmes parlaient d’amour, de solitude, d’espérance et de douleur, mais toujours avec une lumière au fond du mot.
-Un ami, un frère, un compagnon de route
frèm, comme je l’appelais parfois, et moi, nous étions amis. Nos chemins se croisaient souvent lors d’événements littéraires et scolaires. Nous partagions la même foi en la culture, le même rêve d’un pays où la poésie, la pensée et le livre occuperaient enfin la place qu’ils méritent.
Notre amitié s’est renforcée à l’époque où il collaborait au Nouvelliste, tandis que je portais le projet Livres en Liberté. Il m’a toujours soutenu. Il se déplaçait pour venir à mes événements, même dans les coins les plus reculés : Saint-Marc, Les Cayes, Petit-Trou-de-Nippes… Je me souviens encore de nos longues conversations à la Bibliothèque Georges Castera, où la poésie devenait un dialogue d’âmes.
Ce que j’admirais le plus chez lui ? Sa sagesse, son humilité, et ce calme intérieur que rien ne semblait troubler. C’est ce qui rend sa mort encore plus insupportable.
Le criminel qui lui a ôté la vie savait-il quel homme il assassinait ?
-L’écrivain, le mari, le père
Sa femme, Morlie, m’a confirmé la terrible nouvelle. Elle m’a raconté que ce matin-là, il se rendait à son travail. Son service commençait à sept heures. C’est sur le chemin, dans la rue, qu’il a été poignardé.
Schultz était un homme de famille, profondément attaché à son épouse et à ses trois enfants. Toujours accompagné de son sac, ce sac rempli de livres, de cahiers et de plumes, il écrivait partout, tout le temps. La littérature était sa respiration, l’écriture son refuge.
-L’exil et l’injustice
Ironie tragique du destin : il a été tué loin de sa terre natale, lui qui avait fui l’insécurité pour offrir à sa famille un avenir plus sûr. Haïti, ce pays qu’il aimait tant, qu’il servait avec ses mots, l’avait poussé à l’exil. Il rêvait d’un pays meilleur, mais c’est en terre étrangère qu’il a trouvé la mort. Combien d’Haïtiens, comme lui, quittent leur pays non par choix, mais par nécessité ? Combien de plumes, d’artistes, de rêveurs, doivent fuir pour survivre ? Sa situation, malheureusement, est celle que vivent beaucoup d’Haïtiens aujourd’hui.
Aujourd’hui, coincé aux Cayes à cause de l’ouragan Mélissa, j’écris ces lignes depuis la Cayenne Hotel, œuvre magistrale de feu Gerard Chalviré, regretté mémoire, et la relève est assurée par ses enfants sur place : Judex et Linda Chalviré femme de grande culture et de l’art .
Et je pense à lui, je pense à sa plume sincère. À tout ce qu’il représentait pour la littérature haïtienne.
Schultz Laurent Junior était plus qu’un ami. Il était un symbole d’espoir, de rigueur, de bonté. Son départ laisse un vide immense, mais sa lumière continuera de briller dans chaque texte, dans chaque élève qu’il a inspiré, dans chaque esprit qu’il a éveillé.
« Les écrivains ne meurent pas. Ils changent simplement de page. »
Repose en paix, mon frère. Ton œuvre, elle, ne s’éteindra jamais.
Clément II BENOÎT
