15 décembre 2025
En Haïti, nommer la guerre pour mieux la finir
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En Haïti, nommer la guerre pour mieux la finir

Par Patrick Prézeau Stephenson*

PORT-AU-PRINCE — À l’aube, les rues s’ouvrent ou se referment au rythme des rumeurs: tel axe a tenu, tel marché s’est replié, telle école n’ouvrira pas. La vie quotidienne semble ne tenir qu’à des corridors qui s’éclairent par intermittence. Dans ce pays où l’on a tant décrit la « crise » qu’on en a presque perdu les mots, un constat s’impose: Haïti est en guerre — une guerre asymétrique contre la routine même de vivre.

Cette vérité, longtemps diluée dans les euphémismes de la « transition », invite à un choix simple et radical: cesser de confier l’avenir à des arrangements de continuité qui rejouent la même pièce, et rassembler, au contraire, toutes les forces disposées à bâtir une nation plus juste et plus républicaine, en rupture avec la dépendance politique et la parodie de démocratie qui n’accouche que d’élections contestées.

La question n’est plus rhétorique: quelles forces haïtiennes peuvent se constituer — ou se réunir — pour proposer une sortie et lutter pour l’obtenir? La réponse existe déjà à l’état dispersé. Elle se trouve chez les travailleurs — transporteurs, enseignants, personnels de santé, agriculteurs — qui savent ce que « tenir » un corridor veut dire. Elle se trouve chez des jeunesses urbaines et universitaires qui, au plus fort des blocages, ont organisé l’entraide, documenté l’extorsion, créé des réseaux. Elle se trouve dans une société civile qui, malgré l’usure, a gardé une crédibilité sur les droits et la transparence, chez des autorités religieuses capables de légitimer des compromis, dans un secteur privé prêt à sortir de la rente pour assumer une part d’intérêt général, et dans une diaspora qui peut conditionner ses fonds à la preuve, pas aux promesses.

Nommer la guerre n’est pas militariser la politique. C’est admettre qu’un « effort de guerre » civique s’impose — une mobilisation disciplinée, non violente, mesurable — où chacun se serre la ceinture pour financer et protéger des priorités vérifiables.

Concrètement, cela commence par les corridors de vie: des comités mixtes par axe (transporteurs, communes, Police nationale), un tableau de bord public des heures d’ouverture, incidents, coûts; une lutte organisée contre l’extorsion (lignes d’alerte, assistance juridique, fonds de secours conditionné à la plainte); des filets essentiels (eau, écoles, cliniques mobiles) et un gardiennage communautaire encadré par la loi. Cela impose aussi une transparence radicale — publication mensuelle des marchés publics, audits rapides indépendants — et une justice de proximité pour les délits qui étranglent le pays (extorsion, enlèvements, corruption locale) avec des délais cibles.

Sur le plan politique, l’alternative à la « continuité » ne naîtra pas d’un slogan mais d’un pacte. Appelez‑le, pour reprendre un mot détourné, un « complot des bien‑pensants »: un accord explicite entre acteurs qui acceptent l’intégrité, la méthode et la preuve comme seules monnaies d’échange. Un pacte d’éligibilité — patrimoine, impôts, intérêts, casier judiciaire publiés — pour tout prétendant à la transition; des incompatibilités strictes; un registre public des rencontres d’influence; un comité de vérification indépendant (société civile, cultes, universités) chargé d’attester les données; et un calendrier à deux temps: six mois pour normaliser corridors, services et justice prioritaire; six à neuf mois pour sécuriser un scrutin crédible, au besoin par vagues là où les conditions sont réunies.

Reste la force contraire — celle qui vit de la continuité: politiciens en quête de parts, groupes d’affaires adossés à l’économie criminelle, rentiers de la haute fonction publique. Leur argument tient en trois mots: rapports de force. Soit. Mais encore faut‑il dire quelles forces et dans quel cadre. L’histoire enseigne qu’un peuple qui sait dire non — et le prouver par des institutions qui mesurent, publient, corrigent — finit par déplacer les lignes, sans romantiser la douleur.

Tout le reste — les sigles renouvelés, les conseils reconfigurés, les transitions rallongées ou allégées — reconduit l’hypothèse la plus probable: un petit président mal élu tenté par les vieux réflexes, un Parlement contesté, l’usure, puis la chute et une nouvelle parenthèse. À force, l’impossible devient une prophétie auto‑réalisatrice: on déclare qu’Haïti ne peut pas, et l’on agit de manière à ce qu’elle ne puisse pas.

Il y a un siècle, un pamphlet anonyme s’en prenait à la « pauvre élite » qui confondait titres et destin. L’avertissement demeure. Diriger, c’est prévoir; prévoir, c’est choisir des sacrifices utiles, partagés, contrôlés. L’heure n’est plus aux indignations sans plan, mais à l’ingénierie d’une coalition qui prenne au sérieux un pays en guerre — pour mieux en sortir.

*Patrick Prézeau Stephenson is a Haitian scientist, policy analyst, financial advisor and author specializing in Caribbean security and development.

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Kilès nouye :  Manifeste L’Appel du Lambi – Unité et Action pour Haïti

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