Depuis bientôt dix ans, Haïti s’enfonce dans une transition sans fin, une sorte de purgatoire politique où l’État n’existe plus que par intermittence. Depuis les dernières élections de 2016, le pays n’a plus connu la moindre consultation démocratique.
Dès son arrivée au pouvoir, Jovenel Moïse avait suspendu les élections locales et territoriales, privant ainsi le pays de toute représentation au niveau des collectivités. Le vide institutionnel est devenu abyssal.
Après son assassinat en 2021, Haïti est entrée dans une période de flottement sans précédent : plus de deux ans de règne sans légitimité avec Ariel Henry, puis dix-huit mois d’immobilisme avec un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) dont la seule constance aura été la lenteur et l’opacité. Le pays, exsangue, n’a toujours aucun horizon électoral.
C’est dans ce décor de ruines que les puissances étrangères, États-Unis en tête, se rappellent soudain qu’Haïti doit organiser des élections. De Port-au-Prince, le ton de l’ambassade américaine est sans équivoque : il faut en finir avec “les non élus” et “ceux qui veulent garder le pouvoir”. Sous la pression, les membres du CPT (désormais conscients de leur fragilité politique) promettent de publier bientôt un calendrier électoral, comme un élève pris en faute qui s’empresse de montrer qu’il a compris la leçon.
Mais à quoi bon parler d’élections dans un pays où 60 % du territoire est sous la coupe des gangs ? Où voter relève de la témérité, sinon du suicide ? Le CPT, aux abois, renonce à son projet de référendum constitutionnel, aussi coûteux qu’inutile, pour se concentrer sur une chimère électorale. Une opération de façade, dictée par les chancelleries étrangères plus que par la volonté populaire.
L’ONU, à son tour, promet de dépêcher 5 000 hommes pour “neutraliser les gangs”. Une annonce sans calendrier, sans plan clair, et surtout sans conviction. Les Haïtiens, eux, continuent de mourir, de fuir, de subir, pris en étau entre les intérêts des puissances, la barbarie des gangs et l’avidité d’élites locales corrompues.
Qui viendra délivrer ce peuple des prédateurs qui le dévorent depuis des décennies ? Le salut ne viendra ni de Washington, ni de New York, ni des corridors du pouvoir haïtien. Il viendra, s’il vient, du sursaut d’une population qui refusera enfin de servir d’alibi aux ambitions d’autrui. Tant que la souveraineté d’Haïti sera négociée entre des mains étrangères et locales compromises, parler d’élections n’est qu’un mot creux, un théâtre pour masquer la faillite de l’État.
Haïti n’a pas besoin d’un calendrier. Elle a besoin d’un réveil.
Elensky Fragelus