par Alexandre Telfort Fils, 9 octobre 2025
Le 10 mars 2014, l’éminent professeur Leslie Manigat, voyant venir la débâcle, pose son ultime acte politique presque prémonitoire, puisque mon père spirituel s’en alla environ 3 mois après, le 27 juin 2014. Il le savait, c’était le moment “…Plus que jamais l’alternative c’est vous“ écrivait-il dans son “Appel à la jeunesse”. Sur le chemin de l’engagement pour l’intégration des jeunes, c’est à cet appel politique que des centaines de jeunes et moi avons répondu pour essayer de changer la vie et nous y continuons, jamais nous n’avons abandonné notre peuple ni l’avons trahi. Naturellement, cet appel magnanime a rejoint l’effort des journalistes comme Valéry Numa qui a porté sur les fonds baptismaux “ la génération Numa ” et d’autres acteurs qui croyaient et qui se sont donnés pour que la jeunesse soit au cœur du redressement national. Comme toujours, la tendance nationale est au rejet total du passé même les efforts passent dans l’oubli, pour l’Haïtien lambda la nature sait faire des sauts et des bonds. Dans cette longue marche vers la responsabilisation de la jeunesse qu’a fait la République réfractaire? Elle a dressé le projet de la destruction de toute une génération.
Aujourd’hui les peuples du monde avec baleines en main cherchent la jeunesse Haïtienne et on oublie qu’elle est celle qui a tout vécu, on a détruit l’éducation, on l’a gardée sans travail pour mieux la corrompre, on l’a armée pour qu’elle détruise la vie, on a assassiné un président pour la démobiliser et assassiner son engagement. C’est ainsi que la déclaration du professeur Soukar devient virale : “…C’est à la jeunesse de prendre le destin du Pays…” Le pays fait comme si c’était pour la première fois qu’on interpellait la jeunesse. Semble-t-il la nation a l’oreille sélective quant à sa responsabilité face à elle-même, quand c’est un pour tous, tous pour un. Ils se la coulaient douce et ce n’était pas nécessaire d’écouter les jeunes qui faisaient l’effort, et le pays n’investissait pas dans l’Université, dans les écoles professionnelles, dans la santé des jeunes comme dans le sport; il n’a pas investi dans le numérique comme dans l’emploi et l’entrepreneuriat des jeunes, dans la participation politique des jeunes…
Le pays sombre, ils savent que nous sommes sur le point de le perdre, notre cher Haïti; Oh Mon Dieu, je frémis à l’idée de l’écrire et c’est maintenant que nous le méritons. Sans gêne, ils nous la lancent encore brûlante, cette patate chaude. Après des décennies de défaillances, de calculs à courte vue et de compromis sans courage, on tend à la jeunesse un pays exsangue en lui disant : « À vous de jouer ». Quand la banque était pleine pour les clientèles politiques, personne ne pensait à nous ouvrir un compte. Aujourd’hui que le guichet est à découvert, on nous demande d’encaisser un chèque sans provision. Quand nous luttions pour notre intégration, personne ne répondait aux lettres, aux mémoires, aux mobilisations. Quand nous avons déposé une loi d’intégration des jeunes, le Parlement ne l’a pas votée. Et voilà qu’on nous appelle à la rescousse, au chevet d’Haïti, comme des internes de garde à qui l’on tend un patient déjà saigné sur la table d’opération : « Sauvez-le vite, et si ça échoue, on dira que c’est vous qui l’avez tué. »
Un diagnostic sans complaisance
Nous n’écrirons pas l’histoire à l’encre de l’amnésie. Des générations ont brisé la confiance publique, dilapidé les institutions, marchandé la République. On a confondu l’État avec un patrimoine familial, l’administration avec une clientèle, la loi avec une faveur. On a appauvri l’école, humilié la jeunesse, déserté la planification, et laissé la nation sans cap dans la tempête. Les chiffres s’enchaînent, mais la vérité est simple : Haïti n’a pas manqué de talent, elle a manqué de responsabilité, elle n’a pas manqué de vision mais d’organisation, elle n’a pas manqué de projet mais de systématisation.
Responsabilité, organisation et systématisation envers l’enfance qui rêve et qu’on abandonne; envers la femme qui nourrit et qu’on ignore, envers le paysan qui s’entête à semer dans la poussière; envers la diaspora qui envoie, qui bâtit, et que l’on traite en visiteuse; envers la vérité, surtout, que l’on maquille par une photo de campagne.
La patate chaude n’est pas une malédiction
On nous la lance pour s’en débarrasser ; nous la saisirons pour en faire lever le pain. La jeunesse haïtienne n’est pas une figurante que l’on fait entrer au dernier acte pour essuyer les huées. Nous sommes la génération qui assume. Nous ne fuirons pas. Nous aimons ce pays, non pas dans les slogans, mais dans la patience des réformes, dans la rigueur des comptes, dans la dignité du service. Elle nous brûlera parce que la communauté internationale ne nous soutiendra pas, elle nous brulera parce que la tradition politique est violente, haineuse et assassine, elle nous brulera parce que les piègent tendues sont pléthores, nous perdrons mêmes nos mains parce qu’ils ont réussi à nous diviser et ils savent que nous sommes pas préparés à ces responsabilités. Même pendant les brûlures, nous allons nous défaire de la faillite; nous allons bâtir notre petit pays chéri; l’Etat pour tous et pour toutes; nous le sécuriserons, nous nous assurerons de son progrès pour qu’au 1er janvier 2054, le monde se réveille meilleur avec la renaissance d’Haïti.
Nous savons une chose que les manuels n’enseignent pas : la jeunesse n’a que la jeunesse. Si nous ne nous soutenons pas, qui le fera ? Nous n’avons que nous-mêmes, si nous n’ouvrons pas la voie à d’autres jeunes, nous reproduirons la même société fermée, frileuse, stérile. Il ne suffit pas d’être jeune de visage ; il faut l’être de projet : ouverts, courageux, solidaires.
Quand ils disent « maintenant », nous répondons « Responsabilité »
On nous a trop souvent enfermés dans un rôle d’ambulanciers. Nous serons architectes. La Renaissance d’Haïti, ce n’est pas la révélation d’un sauveur, c’est la coalition d’un peuple. Elle parle d’ensemble : jeunesse, femmes, enfants, monde rural, entreprises, universités, diaspora, collectivités, artistes, sportifs, médias, confessions, chacun à sa place, chacun responsable.
Notre réponse ne sera pas un cri, mais des idées, un plan. Nous n’avons pas choisi l’heure, mais nous choisirons la méthode, l’ère de la Renaissance c’est l’ère de la : responsabilité globale.
Nous ne serons pas les héritiers du silence. On voudrait nous céder un pays endetté en espérant que nous courions après des illusions. Nous courrons après des preuves. Chaque promesse aura un indicateur, un délai, un budget, un responsable. Chaque projet aura un avant/après publié. Chaque gourde dépensée aura un visage bénéficiaire. Nous mettrons fin à la liturgie des slogans ; place au catéchisme des résultats.
Nous le disons sans haine, mais sans trembler : ceux qui ont refusé hier la loi d’intégration des jeunes ont perdu le droit de nous donner des leçons d’engagement. Nous ne cherchons pas d’excuses, nous cherchons des solutions. Nous ne cherchons pas de fauteuils, nous cherchons des fonctions. Nous ne chercherons pas à remplacer des hommes, mais à réparer des mécanismes.
Le moment ou jamais
Haïti n’a pas besoin d’une étincelle de plus pour s’embraser, elle a besoin d’une flamme tenue pour s’éclairer. C’est maintenant ou jamais parce que chaque jour d’errance coûte des vies, des talents, des rêves. C’est maintenant ou jamais parce que la fenêtre des possibles se referme quand l’exil devient l’unique projet. C’est maintenant ou jamais parce que notre génération sera jugée non pas sur sa colère, mais sur sa capacité à tenir la patate chaude.
À ceux qui nous tendent la patate chaude, nous répondons : nous la prendrons. Mais nous la transformerons en pain partagé. À ceux qui nous observent, nous disons : regardez travailler. À ceux qui désespèrent, nous murmurons : restez ferme. À ceux qui partent, nous promettons : revenez construire. Voilà notre déclaration de dignité. La Renaissance d’Haïti commence quand la jeunesse refuse de n’être qu’une relève d’alibi. Elle commence quand nous acceptons d’être comptables les uns des autres. Ensemble, nous ferons mentir les prophètes de malheur. Ensemble, nous rendrons à la République ce qu’elle nous a refusé : la confiance. Et quand on écrira ce chapitre, qu’on dise au moins ceci : ils ont reçu une patate brûlante, ils ont résisté et de la faillite ils en ont fait un pays debout.