6 octobre 2025
L’horizon d’Haïti : du chaos à un ordre dirigé par les Haïtiens
Actualités Politique

L’horizon d’Haïti : du chaos à un ordre dirigé par les Haïtiens

Par Patrick Prézeau Stephenson*

PORT-AU-PRINCE — Une dure réalité s’est imposée à Haïti : le pays a dépassé la simple crise de gouvernance et de police pour entrer dans le prélude d’une confrontation ouverte. Avec l’autorisation par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une mission multinationale axée sur l’application de la loi au titre du Chapitre VII, la question n’est plus de savoir si la force sera utilisée contre les groupes armés qui dominent la capitale. Il s’agit de savoir si les Haïtiens — grâce à un leadership distribué et multicentrique — peuvent façonner cette force en un pont vers un ordre légitime plutôt qu’en un détour vers un nouveau cycle de violence.

Ce n’est pas du maintien de la paix. C’est un mandat visant à réprimer et démanteler des gangs qui se sont enracinés dans une grande partie de Port-au-Prince et dans certaines zones centrales frontalières. Le combat à venir sera probablement de faible intensité mais d’une grande brutalité : une phase initiale d’impasse logistique suivie d’opérations de guerre urbaine dans des quartiers denses où les civils encourent le plus grand risque. Les groupes armés n’attendront pas poliment le déploiement. Il faut s’attendre à des escalades destinées à maximiser le chaos et à saper la légitimité de l’intervention avant même les premières patrouilles.

Des élections différées, mais pas la démocratie

Dans ces conditions — familles déplacées, écoles fermées, rues disputées — l’échéance d’élections nationales crédibles s’éloigne. La priorité doit être la protection des civils, la restauration des services essentiels et des corridors commerciaux, ainsi que la reconstitution des Forces nationales haïtiennes (la PNH et l’Armée) et du secteur de la justice. Des élections sans contrôle territorial ni sécurité minimale produiraient une légitimité de papier, non une autorité réelle. La mission du Conseil présidentiel de transition (CPT) est de défendre une séquence démocratique : sécuriser, réformer, puis voter — avec des jalons publics qui gardent l’objectif en ligne de mire.

Un leadership multicentrique — une tradition haïtienne réinventée

L’histoire d’Haïti met en garde contre les récits du « sauveur unique ». Les progrès durables émergent lorsque le pouvoir, l’expertise et la reddition de comptes sont répartis entre de multiples centres. Un modèle multicentrique signifie :

  • Ancrage national : le CPT, exercé comme un rassembleur stratégique, non un exécutif à tout faire.
  • Noyau sécuritaire : la PNH, vérifiée et dotée de moyens, en première ligne ; la mission multinationale en appui.
  • Nœuds locaux : maires, conseils communaux, ordres professionnels, réseaux de femmes et de jeunes, responsables religieux et chambres de commerce.
  • Justice et contrôle : barreaux, organisations de défense des droits humains, médias indépendants.
  • Pôles de la diaspora : antennes urbaines mobilisant ressources et compétences avec transparence.

L’objectif n’est pas la fragmentation mais une autonomie coordonnée : chaque nœud agit selon ses compétences, sous des garde-fous communs, et relié par l’information publique et des indicateurs partagés.

Comment les Haïtiens peuvent façonner la mission

Pour éviter de répéter les erreurs du passé, le CPT et la société civile doivent co‑détenir les règles, la surveillance et la sortie.

1.     Cellule conjointe de pilotage civil‑mission
Intégrer des représentants du CPT, la direction de la PNH, des autorités municipales et des observateurs de la société civile dûment accrédités au sein d’une cellule conjointe de planification et de revue avec les commandants de la mission. Publier des priorités mensuelles : quels corridors sécuriser (aéroport–port–hôpitaux–usines d’eau), quels quartiers stabiliser, quels services rétablir.

2.     Réduction des atteintes aux civils avec comptabilité publique
Mettre en place une Unité d’examen et de réponse aux dommages civils : règles d’engagement claires adaptées au milieu urbain dense ; limitation des opérations nocturnes ; usage gradué de la force ; mécanismes rapides de réclamation, d’excuses et de réparation en cas de préjudice aux civils. Publier des synthèses d’incidents dans des délais fixés.

3.     Renseignement communautaire, pas punition collective
Organiser des comités de quartier de confiance pour cartographier itinéraires sûrs, infrastructures critiques et schémas d’activité des gangs. Établir des lignes de signalement sécurisées gérées par des ONG accréditées, avec protection des témoins et stricte confidentialité des données.

4.     Voies de sortie pour les recrues de bas niveau
Offrir, pour une durée limitée, amnistie et réintégration aux exécutants sans crimes graves : enregistrement d’identité, accompagnement psychosocial, insertion professionnelle et micro‑subventions conditionnées au respect des engagements. Coupler avec des arrestations ciblées des organisateurs et financiers.

5.     Étranglements financiers
Travailler avec les partenaires internationaux pour sanctionner et interdire les flux d’armes et d’argent. Geler les avoirs des facilitateurs ; poursuivre les réseaux d’extorsion qui taxent marchés et transports. Médiatiser les saisies pour éroder le sentiment d’impunité.

6.     Les forces haïtiennes d’abord
Orienter l’appui de la mission vers la formation de la PNH et de l’Armée, la réforme du commandement, les affaires internes et la régularisation des rémunérations. Vérifier rigoureusement les unités ; relever les commandants compromis ; protéger les lanceurs d’alerte.

7.     Contrats ouverts et achats locaux
Publier tous les contrats liés à la sécurité et à la reconstruction au‑delà d’un seuil public. Privilégier les entreprises haïtiennes conformes aux standards ; exclure les entités liées aux parrains de gangs. Utiliser des comités de surveillance communautaires pour auditer l’exécution.

8.     Médiateur indépendant
Créer un médiateur nommé par les Haïtiens, avec participation internationale, pour recevoir les plaintes sur la conduite de la mission, la corruption ou les abus — habilité à recommander des sanctions et à saisir la justice.

Le Chapitre VII est un outil, pas une stratégie

L’autorité du Chapitre VII fournit la force juridique. Elle ne confère pas la légitimité politique. Cette légitimité doit se gagner chaque jour par la conduite des opérations et par l’autonomisation visible des institutions haïtiennes. Le contrat opérationnel doit être clair : la mission supprime les groupes armés ; les Haïtiens renforcent leurs propres forces, leurs tribunaux et leurs services pour que la suppression tienne dans la durée.

Des garde-fous essentiels

  • Droits humains et protection : tolérance zéro pour l’exploitation et les abus sexuels ; protocoles de santé et d’assainissement pour prévenir les crises sanitaires ; suivi médical indépendant.
  • Non‑partisanerie : pas d’utilisation de la mission à des fins factionnelles. Toute tentative de capturer les déploiements à des fins politiques doit entraîner une exposition publique et une correction de cap.
  • Présence conditionnelle et limitée dans le temps : publier des critères de désengagement liés aux capacités des forces haïtiennes, au débit judiciaire et à la sécurité des communautés, et non à de simples dates calendaires.

La séquence sécuritaire

Une séquence réaliste évite la surenchère et met l’accent sur la vie civile :

1.     Sécuriser et maintenir ouverts les corridors vitaux (ports, marchés, hôpitaux, nœuds d’eau et d’électricité).

2.     Stabiliser des quartiers prioritaires selon l’approche « nettoyer‑tenir‑consolider » : patrouilles mixtes, couvre‑feux proportionnés au risque, réparation rapide de l’éclairage et des voiries, réouverture des écoles avec périmètres de sécurité.

3.     Étendre la présence judiciaire : tribunaux mobiles, services aux victimes et gestion des dossiers en amont pour mettre fin à la détention‑tournante.

4.     Rendre progressivement les opérations à des unités PNH et Armée dûment vérifiées dès qu’elles atteignent les standards de préparation.

À quoi ressemble la réussite en 12 mois

  • Baisse d’au moins un tiers des homicides et enlèvements dans les zones prioritaires, vérifiée par des observateurs indépendants.
  • Deux à trois corridors permanents fonctionnant à des volumes quasi normaux.
  • Préparation PNH et Armée : unités vérifiées répondant aux standards de déploiement et d’intégrité ; affaires internes traitées dans des délais définis.
  • Débit judiciaire : réduction de la détention préventive ; dépôts de dossiers prioritaires sur le financement des gangs.
  • Confiance communautaire : progression mesurée par sondage du sentiment de sécurité et de la propension à signaler les crimes.
  • Transparence : publication mensuelle des synthèses d’opérations, des rapports sur les atteintes aux civils et des registres de contrats.

Les risques — et les lignes rouges

Attendez‑vous à des tactiques insurrectionnelles, à la fragmentation des gangs et à des tentatives d’infiltration des forces de sécurité. Le danger majeur est la dérive de la mission : opérations indiscriminées, passation de marchés opaque ou capture politique. Les lignes rouges doivent être claires : des allégations crédibles d’abus entraînent suspension et enquête ; toute passation contournant la transparence est nulle ; tout responsable sollicitant la collaboration de gangs fait l’objet d’une exposition publique et de poursuites.

Le centre haïtien doit tenir

La force peut réprimer. Seuls les Haïtiens peuvent légitimer la paix. Un leadership multicentrique — CPT au sommet, PNH et Armée en tête, municipalités et organisations civiques en périphérie, réseaux de la diaspora comme force de soutien — est l’architecture qui transforme un combat nécessaire en ordre durable. L’alternative est connue : une victoire tactique qui se dissipe dès que les bottes étrangères repartent.

L’horizon n’a pas à être la guerre ouverte. Il peut être un chemin difficile mais praticable vers la vie civique — si la mission est bornée par le droit, guidée par les

*Patrick Prézeau Stephenson is a Haitian scientist, policy analyst, financial advisor and author specializing in Caribbean security and development.

Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com

Men anpil chaj pa lou. Mèsi pou pataje manifès la:

Kilès nouye :  Manifeste L’Appel du Lambi – Unité et Action pour Haïti

Vizite paj akèy la: https://shorturl.at/cozFM

Li sou entènèt: https://shorturl.at/rBOTZ

Telechaje deniè vèsyon 2024 la: https://shorturl.at/g08Do

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.