De la façade à la dépendance : l’État haïtien dans son miroir de 2025. Comme en 1915, le pouvoir s’affiche en costume officiel, mais reste façonné hors de ses frontières.
Depuis le 30 septembre 2025, à trois heures de l’après-midi, Haïti a franchi un seuil que nul vernis institutionnel ne parvient plus à dissimuler. L’ère du « gouvernement de doublure » s’est imposée avec une évidence désarmante. Les façades officielles, les communiqués rituels et les cérémonies solennelles ne sont plus que décors de carton-pâte : derrière eux se déploie un pouvoir vidé de sa substance nationale. La scène politique s’apparente désormais à une mise en scène spectrale, où les figures visibles ne subsistent qu’à travers le reflet d’intérêts extérieurs qui les manipulent.
Ce concept de « doublure », déjà employé dans la tradition politique haïtienne pour désigner un pouvoir de substitution, retrouve aujourd’hui une actualité saisissante. L’implantation de la Gang Suppression Force (GSF), sous mandat du Conseil de sécurité des Nations unies et chaleureusement saluée par des acteurs comme Laurent Saint-Cyr et Alix Didier Fils-Aimé, illustre la dépossession en cours : une souveraineté proclamée dans les textes mais neutralisée par des mécanismes de tutelle internationale.
Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) cristallise à lui seul cette dérive. En avril 2024, il promettait de restaurer la sécurité et de rouvrir les routes nationales à la circulation. Un an plus tard, il peine à masquer son impuissance : peut-il réellement tirer avantage de sa propre incapacité à se montrer utile, sinon en s’érigeant en courroie de transmission d’intérêts extérieurs ? La comparaison avec Sudre Dartiguenave demeure inévitable, tant la figure d’un pouvoir vidé de son autonomie ressurgit, mais dans des conditions encore plus amères.
Cette dynamique ne touche pas uniquement les structures étatiques ; elle mine les fondements mêmes du contrat social. Lorsque les citoyens comprennent que les décisions essentielles se prennent en dehors de leurs frontières, la fracture entre gouvernés et gouvernants s’approfondit. La confiance, déjà fragilisée par des décennies de crises, s’en trouve davantage délabrée, réduisant les institutions à de simples vitrines.
L’ironie, enfin, atteint son paroxysme à l’approche du 17 octobre, date commémorative de l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines. Le CPT, incarnation contemporaine de la déception et de la trahison, osera, sans trembler, invoquer la mémoire du Père fondateur, comme si les mots pouvaient camoufler leur servitude politique. On en viendrait presque à croire que la scène nationale se nourrit désormais d’une dramaturgie où les héritiers supposés de Dessalines récitent un texte écrit par d’autres mains.