Il n’est pas besoin d’être spécialiste en communication pour remarquer l’incohérence du dernier discours du président du Conseil présidentiel, Laurent Saincy.
1. Le rappel de la dette de l’indépendance
La question de la dette de l’indépendance avait été soulevée par le conseiller Edgard Leblanc Fils. Au nom de l’unité et de la continuité de l’État, ce thème aurait dû être repris et approfondi pour dénoncer l’inaction persistante de la France.
Dans la logique de la politique étrangère cohérente (Charles-Philippe David), un État doit parler d’une seule voix à l’international pour maximiser ses chances d’influence. La dissonance interne réduit la crédibilité du message.
2. La sécurité et la force multinationale
Edgard Leblanc Fils avait affirmé que la sécurité constituait une priorité pour le gouvernement et que le déploiement de la force multinationale en était la preuve. Pourtant, plusieurs mois après son arrivée, aucun bilan officiel n’a été présenté sur son action. Pendant ce temps, le président kényan annonçait que cette force avait « libéré plusieurs zones » et dressait un bilan positif, sans que le président du Conseil présidentiel ne le contredise: selon la théorie de la transparence gouvernementale (Hood, 2006), une administration crédible doit communiquer régulièrement des résultats mesurables de ses politiques publiques.
3. Un discours qui fragilise la posture internationale d’Haïti
Au contraire, le président a dépeint Haïti comme un pays en voie de disparition, sans évaluer l’action des forces étrangères sur le terrain et leurs résultats mitigés. Haïti, qui devrait revendiquer la justice, donne l’impression de quémander la charité: Frame analysis d’Erving Goffman – un même fait peut être présenté comme un combat pour la justice (cadre actif) ou comme une demande d’aide (cadre passif). Le choix du cadre influence la perception internationale.
4. Un Conseil présidentiel à neuf têtes
Ce discours traduit une contradiction : chaque conseiller présidentiel semble avoir sa propre vision d’Haïti. Faute de synthèse et de cohérence, ces neuf visions différentes ne convergent vers aucun véritable projet social: selon la théorie de la cohésion de groupe de Bruce Tuckman (stades forming–storming–norming–performing), une équipe politique ne peut produire des résultats efficaces qu’après avoir harmonisé ses objectifs et ses méthodes. Sans phase de « norming » (mise en cohérence), le passage à l’action reste chaotique.
Sans harmonie et sans stratégie de communication intégrée, le Conseil présidentiel ne peut espérer impulser un véritable développement ni défendre efficacement les intérêts d’Haïti sur la scène internationale. Comme le souligne la gouvernance en réseau (Rhodes, 1996), la coordination et la cohérence sont des conditions indispensables pour gouverner dans un contexte de crise.
Alceus Dilson, Communicologue, Juriste
E-mail: Alceusdominique@gmail.com