L’Edito du Rezo
Haïti à la tribune des Nations Unies : guerre déclarée et promesses électorales, une contradiction qui fragilise la transition
À la tribune de la 80ᵉ Assemblée générale, Laurent Saint-Cyr, président du Conseil présidentiel de transition (CPT), a livré un discours marqué par une rhétorique guerrière, décrivant Haïti comme un pays en proie à une véritable “guerre” contre les gangs. Derrière les chiffres alarmants – 3 100 morts recensés par l’ONU au premier semestre, 1,3 million de déplacés, la moitié de la population menacée par la faim – s’esquisse pourtant une promesse : celle de préparer des élections générales, au profit d’un cercle restreint déjà assuré de capter les financements publics liés à ce processus.
Cette simultanéité met en lumière une incohérence profonde. D’un côté, l’allocution dramatise l’état d’exception en évoquant une guerre civile larvée, justifiant l’appel à une force multinationale de 5 550 hommes financée et mandatée par le Conseil de sécurité. De l’autre, le Conseil électoral provisoire poursuit son calendrier, comme si les conditions minimales de sécurité, d’intégrité et de participation citoyenne pouvaient exister dans un tel climat.
L’effet produit est celui d’une dictée récitée : rappeler la guerre pour solliciter l’appui extérieur, puis rassurer par l’annonce d’élections, comme pour cocher les cases exigées par les bailleurs et partenaires internationaux. Mais cette logique se retourne contre la crédibilité du CPT. En droit constitutionnel haïtien, un scrutin organisé sous contrainte armée, dans un pays où la liberté de circulation et la sécurité des électeurs ne sont pas garanties, ne saurait conférer une légitimité réelle.
L’incohérence apparaît manifeste : le régime transitoire dramatise la guerre et sollicite une intervention étrangère, tout en affichant la volonté d’organiser un retour à l’ordre constitutionnel par des élections. Une telle posture risque d’accentuer la défiance du peuple, confronté chaque jour à l’effondrement de l’État, et de conforter l’idée, au sein de la communauté internationale, d’une transition guidée davantage par des impératifs extérieurs que par une véritable vision politique nationale.
Au bout du compte, le discours de Saint-Cyr traduit moins une stratégie qu’une mécanique répétitive : énoncer la catastrophe, implorer l’assistance, promettre des élections. Comme une leçon apprise par cœur, récitée devant le monde entier, mais déconnectée de la réalité d’Haïti, où les urnes se réduisent, pour l’instant, à une illusion démocratique bò katedral.