La défaite du droit n’est que provisoire
Un visa n’est jamais un droit acquis. Il s’agit d’une faveur, révocable à tout moment par l’État qui l’accorde. Washington, Ottawa ou Paris n’ont d’ailleurs aucune obligation d’expliquer pourquoi ils décident de retirer cette précieuse autorisation d’entrée. Le geste reste souverain. Dans un pays normal, un retrait de visa pour corruption ou trafic d’influence agit comme une claque publique, un rappel que la respectabilité ne se décrète pas. Mais en Haïti, cette logique s’inverse : on continue de siéger, de légiférer, d’invoquer la Constitution, même quand l’ombre d’accusations graves plane.
Louis-Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin. Trois membres du Conseil présidentiel de transition soupçonnés d’avoir réclamé des pots-de-vin à un ancien directeur de la Banque nationale de crédit afin de le maintenir en fonction. Dans une démocratie fonctionnelle, ce soupçon suffirait à provoquer une démission immédiate, ne serait-ce que pour protéger l’institution. Aux États-Unis, au Canada ou en France, l’opinion publique n’offre guère de sursis à ceux qui marchandent leur autorité. Ici, les trois siègent toujours, comme si de rien n’était, et poursuivent leurs sermons institutionnels.
Le vrai scandale n’est pas seulement l’allégation de corruption. C’est que leurs actes, posés sous le sceau du Conseil, risquent d’être juridiquement entachés de nullité. Comment prétendre réformer, légiférer ou imposer une nouvelle Constitution quand la légitimité même de ses membres repose sur du sable mouvant ? La diplomatie haïtienne tente de sauver les apparences, mais chacun sait que ce Conseil, gangrené de l’intérieur, ne survit que parce qu’il amuse ou rassure l’international.
Les États-Unis ont déjà sanctionné des anciens parlementaires haïtiens, des ex-ministres, des figures politiques jusqu’à Michel Martelly. La logique est claire : corruption et abus se paient tôt ou tard. La question est donc simple : Gilles, Vertilaire et Augustin verront-ils leurs visas retirés, leurs comptes scrutés, leurs voyages entravés ? Rien ne dit que Washington se risquera à cette confrontation maintenant. Mais l’épée pend au-dessus de leurs têtes. Et chacun comprend que l’Amérique ne laisse jamais une pièce corrompue trop longtemps sur l’échiquier.
Aujourd’hui, ces trois messieurs répètent leur refrain : « Il faut changer la Constitution ! ». Cela plaît aux bailleurs qui rêvent de reconfigurer Haïti à leur convenance. Mais demain, si le vent tourne, si les mêmes partenaires internationaux décident de solder leurs comptes, qui portera le poids du pot cassé ? Comme le rappelle souvent Josué Renaud de lNew England Human Rights Organization, « la défaite du droit est toujours provisoire ». À méditer, car tôt ou tard, l’heure de vérité frappe à la porte… et les exemples ne manquent pas. Rappelez-vous le cas de Lambert, qui n’a plus de visa américain après avoir servi pendant plus de vingt ans, selon ses propres déclarations.