Par : Patrick Prézeau Stephenson
D’ordinaire j’écris sur des sujets socio‑politiques ; aujourd’hui c’est plus personnel. J’ai rencontré un jeune agronome prénommé Markenson qui porte un rêve : revitaliser l’élevage caprin dans le Grand Nord d’Haïti. Son ambition est modeste dans la forme — de meilleurs abris, des boucs améliorés, des parcelles fourragères, un accès vétérinaire de base — mais immense dans ses conséquences pour des familles dont les animaux constituent, littéralement, un compte d’épargne tournant.
Dans les départements du Nord et du Nord‑Est, une chèvre paie encore la scolarité d’un enfant, règle une visite à la clinique, comble le « trou de faim » entre deux récoltes. Quand les crues ravinent les zones basses ou que la sécheresse brûle la maigre végétation, les troupeaux disparaissent ; le bilan économique d’un ménage s’effondre du jour au lendemain. « Bèt yo se trezò nou », répètent les paysans — nos animaux sont notre trésor — une expression faite à la fois de fierté et d’avertissement discret.
Le plan qui se structure via l’UFAH (un réseau d’organisations de base actives de longue date) relève moins d’un réflexe caritatif que d’une stratégie organisée d’actifs ruraux. Sur trois ans, il vise la distribution de 3 500 chèvres femelles selon un système de transmission solidaire : chaque bénéficiaire s’engage à céder deux chevrettes — l’une à une famille en attente, l’autre au fonds communautaire — amorçant une expansion sans flux externe permanent. Cent mâles reproducteurs améliorés, adaptés au climat, augmenteront les taux de croissance (valeur par tête) plutôt que de rechercher une prolificité difficile à soutenir. Des parcs d’apprentissage expérimentaux — cinq dans la tranche initiale — fonctionneront comme pôles de démonstration : saillies contrôlées, parcelles fourragères, enclos nocturnes surélevés hors des sols inondables.
En cas de réussite, le cheptel des zones ciblées pourrait gagner 25 000 à 30 000 têtes ; la liquidité locale issue de ventes régulées est estimée à 70–80 millions de gourdes (environ 530 000 à 600 000 USD), rare exemple de formation de capital endogène dans un contexte de contraction économique chronique. Les femmes sont délibérément placées au centre — au moins 60 % de bénéficiaires directes visées — car les données d’initiatives rurales antérieures montrent que le revenu issu des petits ruminants sous contrôle féminin se réinvestit plus régulièrement dans la scolarité, la nutrition et des intrants agricoles incrémentaux.
Les points faibles qu’affronte le projet sont peu glamour mais décisifs : prédation (chiens errants), exposition (crues soudaines, déluges), longues distances pour l’eau, pénurie de fourrage en période sèche, maladies évitables faute de médicaments disponibles. Des hangars protecteurs et de simples enclos nocturnes clôturés réduisent les pertes de nuit. Des micro‑bassins de retenue d’eau raccourcissent les heures de marche des femmes et des adolescents. Des pharmacies vétérinaires communautaires, gouvernées localement, stockent l’essentiel ; trente agents para‑vétérinaires seront formés ou recyclés, consignent doses et cas — une transparence de base comme mécanisme de confiance. Radio Bois Caïman, station communautaire déjà ancrée dans les habitudes, devient un canal comportemental : courtes séquences sur l’hygiène des parcs, le pâturage rotatif, la préparation aux désastres et l’équité de genre dans la gestion du troupeau.
Pour la diaspora haïtienne — en particulier les congrégations menées par des pasteurs comme Mallory et Gregory Toussaint — cette initiative croise une fatigue psychologique : la sensation de transferts d’argent assimilés à des pansements d’urgence sans fin. Les dons diasporiques culminent après la catastrophe, puis décroissent. Ce modèle invite à passer du soulagement épisodique à la capitalisation cumulative d’actifs. Un registre discipliné d’identification des chèvres, de conformité à la transmission des petits, d’inventaire pharmaceutique, de taux de survie fourragère et de variation de scolarisation compose une colonne vertébrale de données que les donateurs peuvent réellement suivre.
Si cette histoire touche votre cœur, envisagez de donner une chèvre ou plus (140–150 USD pour une femelle prête à reproduire). Comme le dit l’expression créole : « bay piti pa chich » — même un don modeste, offert avec générosité, a du sens ; ne retenez pas par petitesse. Un animal bien placé devient des naissances transmises, des frais vétérinaires payés localement, des factures scolaires réglées plus tôt et une marge de dignité élargie pour une mère.
Paliers de contribution indicatifs : 140–150 USD : une chèvre d’entrée assurée pour un ménage vulnérable ; 250 USD : part de matériaux pour un segment d’enclos nocturne sécurisé ; 500 USD : part du coût d’un bouc reproducteur amélioré ; 1 500 USD : un hangar communautaire réduisant les pertes (crues et prédation) ; 5 000 USD : dotation initiale et formation pour une pharmacie vétérinaire communautaire ; 10 000 USD : segment d’infrastructure centrale d’un parc d’apprentissage expérimental.
L’agronome, à Markenson, l’a formulé simplement : si les ménages cessent de perdre leurs animaux à cause des ruissellements et des chiens, ils gardent l’espoir — et réinvestissent plus tôt. L’espoir ici n’est pas rhétorique ; il se mesure aux taux de survie des chevreaux, aux poids de vente et aux reçus de scolarité.
Les sceptiques demanderont pourquoi augmenter le nombre de chèvres dans un environnement écologiquement sous tension. La réponse réside dans la gestion conditionnelle : parcelles fourragères rotatives (leucaena et graminées adaptées), recyclage du fumier vers les cultures, réduction de la dépendance au charbon — un petit levier d’adaptation climatique plutôt qu’un recul.
Ce qui frappe est la retenue : aucune promesse gonflée d’« éradiquer la pauvreté », seulement un système stratifié destiné à épaissir un tampon économique fragile. Dans la ruralité haïtienne, c’est la volatilité — plus que la rareté absolue — qui cause les dommages les plus sévères. Une échelle fonctionnelle de petits ruminants ne résoudra pas les dysfonctionnements de gouvernance, mais elle peut atténuer le coût humain du prochain choc climatique.
Transmettez ceci aux églises. Faites-le circuler auprès des réseaux professionnels de la diaspora, des associations étudiantes, des groupes WhatsApp. Une seule chèvre peut modifier le flux de trésorerie d’une année ; un système reproductible peut transformer le calcul du risque d’une génération.
Le rêve est modeste. Le design est sobre. L’effet multiplicateur est documenté. La variable incertaine demeure : la diaspora — entre mémoire et fatigue — choisira‑t‑elle de financer la résilience avant la prochaine inondation médiatisée ?
Pour des critères de gouvernance détaillés, des protocoles de vérification ou l’organisation d’une séance d’information, demandez le dossier du projet. Le souvenir du petit troupeau de la cour de votre grand‑mère peut devenir capital rural structuré. Bay piti pa chich.
Ceci est une invitation ouverte et respectueuse aux voix culturelles et sportives reconnues — Anie Arlette, Bedjine, Kadilak, Richie Hérard, Reginald Cangé, Dener Ceide, Shaba, Tonti Vito, Michael Brun, Ti-Djo Zenith, Bicha, Edo Zenith, Wyclef Jean et Naomie Osaka, etc. — afin qu’elles apportent, sous la forme qu’elles souhaitent, leur soutien à un effort transparent et communautaire pour « donner une chèvre » et renforcer la résilience rurale dans le Nord d’Haïti.