En Haïti, les transitions politiques se sont souvent limitées à des changements de visages ou d’équipes, sans toucher aux structures économiques et institutionnelles qui reproduisent la dépendance et l’instabilité. Cela rejoint la théorie de la dépendance (André Gunder Frank, Theotonio dos Santos) : les pays périphériques restent bloqués dans un modèle économique qui les rend dépendants des centres de décision extérieurs et de l’importation, même lorsque le pouvoir politique change.
À l’inverse, plusieurs pays africains – Mali, Niger, Burkina Faso, mais aussi Togo, Tchad ou Gabon – ont profité de leurs périodes transitoires pour impulser des réformes économiques et institutionnelles structurantes. Ces transitions, même courtes et fragiles, sont devenues de véritables leviers de transformation. Elles se rapprochent de l’approche du développement endogène (François Perroux, Gunnar Myrdal) : construire la croissance sur ses propres ressources, ses propres filières et son capital humain, plutôt que d’attendre des flux extérieurs.
Ce qu’Haïti pourrait faire pendant une transition
Pour sortir de la simple gestion de crise et faire de la transition un moteur de progrès, Haïti pourrait :
- Réformer le code douanier et la fiscalité afin de stimuler la production nationale et d’augmenter durablement les recettes publiques – ce qui correspond à l’approche keynésienne : renforcer les capacités de l’État pour investir et créer un effet multiplicateur sur l’économie ;
- Mettre en place un plan national d’investissements productifs (infrastructures, agriculture, numérique, énergie) financé par des partenariats public-privé et des ressources internes. Cela s’inspire de la théorie de l’industrialisation par substitution aux importations (Raúl Prebisch) qui a permis à plusieurs pays de diversifier leur économie et de réduire leur dépendance extérieure ;
- Valoriser ses ressources existantes (zones franches, tourisme, produits agricoles) en créant des chaînes de valeur locales au lieu d’exporter brut – approche liée à la montée en gamme des filières (Michael Porter, théorie de l’avantage compétitif des nations) ;
- Lier sécurité et économie : créer massivement des emplois via la reconstruction d’une armée et d’une police renforcées, accompagnées de programmes de formation et de réinsertion. Cela rejoint les théories du capital humain (Gary Becker) : plus un pays investit dans ses forces productives et dans la formation, plus il accroît sa productivité et sa stabilité.
Enjeux
Ces orientations reprennent l’esprit du développement endogène : utiliser ses propres ressources et son capital humain pour se relever. Elles s’attaquent à la racine des blocages – les structures économiques et institutionnelles – et non seulement aux symptômes.
Sans rupture réelle, Haïti restera prisonnière d’un modèle où les élites entretiennent la dépendance et l’instabilité.
Mais avec un véritable agenda économique de transition, le pays pourrait transformer son Conseil présidentiel d’un simple organe symbolique en un moteur de modernisation et de progrès.
Alceus Dilson, Communicologue,Juriste
E-mail :Alceusdominique@gmail.com