L’Edito du Rezo
Communiqués posthumes : la République verse des larmes de crocodile
Quatre jours de silence. Puis, soudain, deux communiqués solennels de la Présidence et de la Primature. Le Conseil présidentiel de transition et le Gouvernement se découvrent une indignation et une compassion officielles, quand les Haïtiens avaient déjà compté leurs morts, enterré leurs proches et encaissé le choc du massacre de Cabaret. La temporalité dit tout : l’émotion politique vient en différé, comme si l’on avait dû attendre un ordre ou un signal extérieur pour oser publier ces textes.
Les mots choisis – « larmes de crocodile », diront certains – paraissent calibrés pour remplir un devoir formel plus que pour traduire une réelle empathie. Derrière le vocabulaire indigné, aucun plan nouveau, aucune rupture de stratégie, mais la répétition du vieux refrain : « traquer les bandits », « neutraliser les gangs », « l’État ne reculera devant rien ». Comme si, par miracle, les phrases creuses suffisaient à remplacer l’action qui manque depuis des années.
Le retard vire au grotesque quand on compare la promptitude des condamnations venues de l’étranger avec le mutisme initial de Port-au-Prince. Washington et l’ONU ont parlé dès le lendemain ; le pouvoir haïtien, lui, s’est emmuré dans l’attente. Dans ce théâtre politique, la souveraineté paraît réduite à un rôle de figurant, récitant son texte quand la scène a déjà changé.
Cette communication tardive, sous des airs d’autorité, démontre clairement la faillite d’un État incapable d’assumer ses morts à chaud, ni de protéger les vivants à froid. Elle met en lumière la mécanique bureaucratique d’une transition qui confond compassion et protocole, sécurité et slogans. Le peuple, lui, sait reconnaître la différence entre un État présent et un État qui s’excuse de ne pas l’être.
À Cabaret, ce ne sont pas les communiqués qui manquaient, mais la protection réelle, la présence policière effective, la solidarité immédiate. Les familles endeuillées n’attendaient pas une indignation datée du 15 septembre, mais une action concrète le jour du drame. Entre les larmes de crocodile et les promesses de toujours, reste la même vérité : la République parle beaucoup, mais les gangs tuent plus vite.
