Haïti, terre où le soleil martèle comme un tambour Asòtò, faisant vibrer la mer jusqu’à lui arracher des chants, et où l’Histoire, haletante, clame encore, tel un tonnerre, le nom de Jean-Jacques Dessalines. Inflexible justicier de la liberté, visionnaire à la flamme indomptable, forgea dans le feu de l’histoire une nation debout face aux empires. Ici, sur cette terre de révoltes éclatantes et de rêves en flammes, naissent des géants. Mais aussi, par quelque sortilège que seuls les loas oseraient expliquer, d’étranges créatures surgissent. Comme cette légion de “neuf nains politiques” qui trônent fièrement au Conseil présidentiel de transition (CPT), ultime gadget politique, de la dernière création de l’Ambassade américaine. Un club où l’on parle de transition comme d’autres parlent de régime minceur, sans jamais brûler un gramme de graisse.
Chez nous, l’ironie porte la couronne. Sous les cocotiers, voûtés par le poids des ans et des renoncements, les fils dénaturés ne sèment plus ni l’arachide ni la dignité, mais les combines. Le CPT, auberge de truands sous franchise diplomatique, exhibe la vitrine d’un marché noir politique. Dans cet espace, les coups de couteau ne viennent pas de la rue, mais de la table de réunion, servis avec sourire et poignée de main protocolaire. Pendant que le peuple, ventre creux, crie famine, eux se partagent budgets et privilèges avec la voracité d’un enfant dévastant un pot de confiture. Le chapitre Fritz A. Jean se referme. Comme prévu, on lui retire le masque pour l’offrir à Laurent St Cyr, nouveau capitaine du navire naufragé, chargé de voguer entre les récifs des gangs, les vagues de soumission et les tempêtes de corruption. Le public haïtien, habitué aux changements de visages sans changement de cap, s’installe pour assister au même spectacle aussi hideux que prévisible.
- Comptable d’un naufrage organisé
Le 7 août, Fritz A. Jean quitte la coordination du CPT par la petite porte, affublé du manteau moisi de l’échec, tel un roi du carnaval déchu, abandonnant son char avant la fin du défilé, sous les huées d’une foule qui ne dansait déjà plus à sa musique. Le jour de son investiture, l’économiste, en grand chef de guerre autoproclamé, promettait de débusquer les gangs avec son fameux « budget de guerre », purifier l’administration, ressusciter la confiance et ranimer une économie déjà cliniquement morte. En coulisse, il se rêvait architecte d’une grande reconstruction nationale. Sur scène, il s’est contenté d’être l’intendant minutieux du désastre. Dans le champ de ruines qu’est devenue l’économie haïtienne, M. Jean se contentait d’aligner des chiffres comme un comptable distrait, persuadé que cela suffisait à gouverner un pays en pleine débâcle. Une arrogance aveugle, coupée des souffrances et du chaos qu’il prétendait maîtriser.
Violences, corruption, rackets érigés en politique publique et classe moyenne pressée jusqu’à la dernière goutte étranglent le pays ; cette réalité accélère son déclin. Quant au fameux « budget de guerre », il n’a traqué ni ombre ni milice ; il s’est mué en acte notarié de partage territorial entre gangs. L’administration publique, gangrenée par le clientélisme, aligne plus de 10 000 nouvelles sinécures. Les entreprises haïtiennes fondent sous les flammes, s’effondrent sous les balles, fuient sous les menaces. Le 6 juillet 2025, les gangs-milices ont réduit en cendres le légendaire Hôtel Oloffson. Quelques mois plus tôt, c’étaient Radiotélévision Caraïbes, puis Télé Pluriel, passés au bûcher. Au cours de l’année 2025, plus de 8 millions de dollars d’équipements médicaux ont été pillés ou détruits à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti et à l’Hôpital Universitaire de Mirebalais.
Aucune réforme économique, pas un souffle en faveur des producteurs locaux, pas la moindre fissure dans l’ordre criminel qui dévore le pays depuis des décennies. L’économie, transformée en passeport doré, ouvre grand la voie à de nouvelles zones franches, servies sur un plateau aux multinationales et à l’oligarchie, pour poursuivre le pillage du pays. Les chefs des gangs-milices, véritables patrons de la capitale, redessinent les frontières, imposent leurs tarifs, leur sécurité, leur justice et surtout bâtir un ordre parallèle, armé, rentable, impuni. C’est l’exécution méthodique de notre sécurité, l’effondrement de l’économie formelle comme informelle, le saccage de notre souveraineté et l’assassinat de notre humanité. Le CPT, a présidé à la plus vaste opération criminelle de notre histoire récente.
Ceux qui espéraient que l’économiste, adoubé mathématicien, ou n’importe lequel de ces truands institutionnalisés, ferait de la transition un tremplin pour refonder le pays se sont lourdement bercés d’illusions. Fritz A. Jean s’en va, abandonnant derrière lui un champ de cendres et un CPT qui pue toujours la combine et l’intrigue, prompt à recycler la transition en carrière et le provisoire en rente à vie.
- Rara de Pétion-Ville au bunker de Musseau
Deux semaines avant son couronnement, le pays était le théâtre d’une comédie aussi grotesque qu’un spectacle de rue mal éclairé, où suspicion et coups bas se mêlaient de trahisons et de manœuvres sournoises. D’un côté, Fritz A. Jean, cramponné à sa chaise comme un fonctionnaire accroché à son per diem, jurait qu’il ne céderait pas la place, arguant que le secteur privé avait déjà mis la main sur le volant de l’organe de transition. De l’autre côté, la nouvelle écurie politico-économique s’apprête à installer Laurent St Cyr pour renforcer Alix Didier Fils-Aimé à la Primature. Cette image saisissante pourrait bien rebaptiser le CPT en « club d’affaires pour une transition éternelle ».
Pour donner un cachet folklorique à la mascarade, on a servi au public un 22-Septembre sauce Duvalier. Une poignée de militants clairsemés, armés de rara rachitique, s’époumonant à crier « Viv prezidan St Cyr ! Avi ! Avi » dans les rues fantomatiques de Pétion-Ville. Sur leurs torses, s’affichent des t-shirts imprimés à l’effigie du nouveau chef. Une icône politique déjà en solde dévalait les pentes de Pétion-Ville pour aller se faire admirer au bunker du CPT, à Musseau. Une preuve formelle, comme un ticket en bonne et due forme, pour forcer le patron à regarder la marchandise en face et enfin lâcher les reliquats promis, qu’il gardait jalousement sous le coude.
Catastrophe ! Laurent St Cyr s’est aventuré en créole, langue qu’il ignore superbement, pour délivrer un discours aussi limpide qu’un brouillard épais. Ce discours était incompréhensible même pour ses fidèles jouisseurs qui applaudissaient sans savoir pourquoi ni comment. Les mots creux et inutiles ont glissé comme la pluie sur un parapluie troué. Aussi opaque et indigeste qu’un rapport d’audit de la Banque mondiale ou du FMI, ce programme sert uniquement à préserver les intérêts de ses petits clans, à répartir les sièges comme on divise un butin entre complices, et à sceller hermétiquement l’accès aux véritables décisions, laissant les rechignants à la porte, bras ballants et yeux écarquillés. Dès ses premières heures, sourire forcé, poignée de main calibrée, le ton était pourtant donné pour une vengeance implacable. Déjà, Normil Rameau est devenu ex-patron de la Police Nationale !
Laurent St Cyr, Fritz A. Jean, Lesly Voltaire, Edgard Leblanc Fils, et ces pitoyables suppôts du CPT, véritables parasites de la politique haïtienne, ne sont rien d’autre que les fossoyeurs déguisés du changement tant clamé. Ils nourrissent leur festin sur les ruines de l’espoir, étouffant toute lumière sous un déluge de mensonges, de calculs sordides et de trahisons à visage découvert. Haïti crie, mais eux, occupés à piller et à se partager le gâteau, font semblant de ne rien entendre. Il est temps d’arrêter d’attendre que des coordinateurs successifs accomplissent ce qu’ils ne feront jamais. Mobilisons-nous pour reprendre le pouvoir de décider, de produire, de rêver, de reconstruire.
Grand Pré, Quartier Morin, 10 Aout 2025
Hugue CÉLESTIN
Membre de :
- Federasyon Mouvman Demokratik Katye Moren (FEMODEK)
- Efò ak Solidarite pou Konstriksyon Altènativ Nasyonal Popilè (ESKANP)