Si le ridicule pouvait tuer : Haïti sous le règne de la présidence tournantee, un syndicat d’intérêts
Dans une démonstration sans précédent d’ingénierie politique hors sol, la République d’Haïti s’apprête, le 7 août 2025, à introniser son quatrième président du Conseil présidentiel de transition en quinze mois. Ce ballet institutionnel dérisoire procède d’un accord ex nihilo, négocié à huis clos sous l’égide de la CARICOM, avec le soutien implicite – sinon explicite – des ambassades occidentales, notamment américaines, canadiennes et françaises. Le texte fondateur de ce Conseil à neuf têtes – sept présidents votants et deux observateurs – n’a jamais été publié dans Le Moniteur, organe officiel de la République. L’absence de publicité équivaut ici à une inexistence juridique formelle, au mépris de l’article 139 de la Constitution haïtienne de 1987 qui impose la publication de tout acte officiel comme condition de son opposabilité.
Ce montage institutionnel illégal, dénué de base constitutionnelle et législative, institue une rotation semestrielle de la présidence du Conseil – pratique totalement étrangère au droit haïtien. Ainsi, depuis avril 2024, les membres du Conseil se succèdent à la tête de l’État sans aucun mécanisme de reddition de comptes, sans mandat du peuple, et en dehors de toute logique républicaine. En droit public, ce système rappelle davantage une usurpation collégiale de souveraineté qu’un quelconque dispositif de gouvernance transitoire. Le droit est instrumentalisé à des fins politiques dans un contexte d’opacité, renforçant la perception d’un pouvoir de façade, alimenté par des forces exogènes dont les intérêts contournent la volonté populaire.
Cette mascarade institutionnelle survient alors que le pays est plongé dans une régression sécuritaire et humanitaire sans précédent. Les ambassades étrangères ferment régulièrement leurs portes pour des raisons de sécurité ; les vols commerciaux depuis les États-Unis sont suspendus à l’exception de missions de bons offices ; l’État se délite dans un climat de peur, de pénurie et de violences. Le Conseil présidentiel, censé garantir une transition apaisée, apparaît comme un corps étranger à la souveraineté nationale, devenu le relais d’une diplomatie de contrôle postcolonial. La désinstitutionalisations d’Haïti s’accélère sous la houlette d’un Conseil qui ne représente ni le droit, ni la nation, mais les calculs d’intérêts étrangers et l’opportunisme de factions locales.
Ce simulacre de gouvernance révèle une vérité crue : l’État haïtien, tel que façonné depuis l’accord du 3 avril 2024, n’est plus maître de son droit ni de son destin. Le Conseil présidentiel, illégitime juridiquement et politiquement, fonctionne comme un syndicat d’intérêts privés ayant capté la symbolique du pouvoir sans en assumer la responsabilité. Il n’est ni organe exécutif constitutionnel, ni autorité de transition fondée sur une volonté populaire ; il est l’émanation d’une tutelle informelle, d’une gouvernance externalisée dont les Haïtiens sont exclus.
La répétition absurde de ce cérémonial présidentiel tous les six mois, dans un contexte de chaos, met en péril la survie même du pacte républicain. Si le ridicule pouvait tuer, Haïti serait déjà morte plusieurs fois. Mais ce qui tue aujourd’hui, c’est le silence des juristes, l’effacement du droit, la capitulation de la souveraineté. Ce Conseil, loin d’être une solution, est la confirmation juridique de la démission de l’État, et peut-être la dernière étape avant la dislocation définitive de la nation haïtienne.
cba

