Il y a des mots qui pèsent lourd, tant ils condensent le désespoir d’une nation tout entière. Et celui qui s’impose aujourd’hui à Haïti est : trahison. Trahison des idéaux, trahison du mandat de transition, trahison d’un peuple abandonné à la violence des gangs et à la rapacité d’une élite politique affairiste.
Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), installé en grande pompe sous les auspices de la « communauté internationale », portait une mission claire : ramener la stabilité, restaurer la sécurité, et conduire le pays vers des élections libres en février 2026. Quinze mois plus tard, le constat est glaçant : non seulement rien n’a été accompli, mais la situation sécuritaire et institutionnelle d’Haïti s’est irrémédiablement détériorée.
L’État en lambeaux, livré aux gangs
Les gangs armés, désormais unifiés sous la bannière cyniquement baptisée « Viv Ansanm », tiennent aujourd’hui en otage plus de la moitié du territoire de la République. Des quartiers entiers sont rayés de la carte, des familles décimées, des femmes violées, des enfants enrôlés de force. Port-au-Prince est devenue une capitale fantôme, encerclée, brisée, prisonnière de seigneurs de guerre qui opèrent en toute impunité, parfois à quelques encablures des commissariats de police ou des bureaux ministériels.
Et que fait l’exécutif’ de transition ? Il s’enlise dans des querelles de bas étage, des luttes intestines pour la répartition de postes juteux dans les directions générales, les institutions autonomes, les régies fiscales et douanières, et autres bastions de prédation budgétaire.
Trois braqueurs et deux oligarques
Au cœur de cette farce morbide : les “3 braqueurs”, ces membres du CPT – Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire, et Smith Augustin – pris la main dans le sac de corruption de la BNC. Plutôt que de démissionner, ils s’accrochent à leur strapontin comme un moribond à sa perfusion, dévorant sans vergogne la maigre confiture de l’État, pendant que les écoles ferment et que les hôpitaux deviennent des morgues improvisées.
À leurs côtés, deux oligarques, symboles du cynisme politique : Laurent St-Cyr, le roi des pigeons voyageurs et le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, homme de réseaux, mais pas d’action, qui manie l’art de la confusion comme d’autres manipulent les chiffres du budget.
Ces stratèges du blocage systématique, préfèrent étouffer les velléités de réforme, museler les voix discordantes et torpiller tout début d’initiative qui viserait à rétablir l’ordre républicain.
Une camarilla affairiste sans projet de nation
Ajoutez à ce cocktail toxique une poignée d’affairistes bien rodés, qui ne voient dans la transition qu’une opportunité pour s’assurer une vieillesse dorée ou bâtir leur fortune, et vous obtenez un exécutif non pas porteur d’espoir, mais générateur d’insécurité.
Le projet de gouvernance s’est mué en projet d’accaparement. L’idée d’élections est devenue un lointain mirage, mais le projet d’effacement de la constitution de 1987, dicté par l’international, est mis en avant, à grands coups de ressources humaines et financières. Mais pendant ce temps, la population, terrifiée, meurtrie, affamée, est privée du droit élémentaire de se soulever, tant les gangs ont pris le relais des forces de l’ordre. Les manifestations sont devenues impossibles, les syndicats asphyxiés, les leaders communautaires assassinés.
Un silence coupable
Et la communauté internationale ? Spectatrice molle d’un effondrement annoncé, elle continue de cautionner cette mascarade. Aucune sanction ciblée, aucun mécanisme contraignant n’a été activé contre les saboteurs de la transition. Le cynisme est total, l’abandon manifeste.
Il n’est pas trop tard
Mais il reste une lueur. La parole, la mémoire, et la responsabilité historique. Le peuple haïtien n’est pas dupe. Il observe, il encaisse, il attend. Il notera les noms, les dates, les trahisons. Et viendra le jour – il viendra – où les traîtres du Conseil de Transition, les usurpateurs de l’État, devront répondre de leurs actes.
Car on ne peut pas éternellement bâtir un pouvoir sur des cendres, du sang et des deals d’arrière-boutique. Haïti mérite mieux que des braqueurs en costume, des oligarques planqués et des affairistes sans foi ni loi.
Le réveil sera rude. Mais il viendra.
Dr Benson Paul Madinet

