Haïti demeure plongée dans une profonde crise alors que des gangs criminels renforcent leur emprise violente sur près de 90 % de Port-au-Prince et d’autres régions du pays. Ces groupes armés sont devenus un véritable régime de terreur.
Particulièrement glaçante est la violence sexuelle galopante, utilisée comme une récompense dévoyée pour les membres des gangs, dont certains n’ont que 14 ans. Comme je l’ai déjà souligné dans un précédent article, de jeunes femmes et des filles sont violées en toute impunité dans les zones sous contrôle des gangs. Les enlèvements contre rançon sont une peur quotidienne, et la vie normale ne tient qu’aux rares instants de répit. Le traumatisme infligé à la société haïtienne est incommensurable.
Le Conseil national de transition (CNT), chargé de diriger le pays jusqu’en février 2026, est incapable d’enrayer cette descente vers le chaos. La Police nationale d’Haïti est dépassée en nombre et en armement. Pendant ce temps, la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), composée principalement de troupes kényanes – déployée en l’absence d’une force autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU – est en grande partie cantonnée dans ses casernes. Faute de financement et dépourvue de mandat clair pour recourir à la force, sa capacité à affronter les gangs est pratiquement inexistante.
Face à cette situation dramatique, le CNT a pris une décision extraordinaire et controversée : engager une société militaire privée pour combattre les gangs. Jusqu’à la semaine dernière, cette initiative n’avait ni été annoncée ni expliquée. Le CNT n’avait pas identifié le groupe en question, ni divulgué les conditions financières ou les règles d’engagement. Étonnamment, cette information a été très peu couverte par la presse internationale. Mais les détails commencent à émerger.
Selon le journal britannique The Guardian, ce groupe de mercenaires utilise des drones kamikazes en vue subjective (« first-person view »), équipés d’explosifs industriels, pour identifier et tuer des chefs de gang. Or, après trois mois d’opérations, aucun chef de gang n’a été confirmé comme éliminé. Plusieurs frappes de drones ont endommagé des bâtiments dans les zones sous contrôle des gangs et pourraient avoir touché des civils. Ces incidents sont particulièrement dangereux dans un environnement aussi fragile et densément peuplé.
Et pourtant, la décision du CNT n’est pas dépourvue de logique. Avec une MMAS paralysée, une police nationale compromise et aucune assistance militaire extérieure sous mandat de l’ONU, les dirigeants haïtiens semblent à bout de ressources. Dans ce vide sécuritaire, les mercenaires sont les seuls à affronter directement les gangs. Même certains défenseurs des droits humains en Haïti commencent à voir l’usage des mercenaires comme un « mal nécessaire ».
Mais cette voie est semée d’embûches. Comme je l’ai déjà averti, il ne s’agit que d’une question de temps avant que les gangs n’adoptent la même technologie. Ce moment semble se rapprocher. Le mois dernier, trois présumés membres de gangs ont été arrêtés en République dominicaine alors qu’ils tentaient d’acheter des drones. Par ailleurs, le groupe de mercenaires en Haïti serait en train de constituer une force de frappe de 150 personnes, recrutées parmi des Haïtiens de la diaspora ayant servi dans les forces armées du Canada, de la France ou des États-Unis. Un important arsenal aurait déjà été introduit dans le pays.
Cela ne me surprend pas. Il y a plus de deux ans, des leaders de la diaspora haïtienne aux États-Unis m’avaient confié leur volonté de s’organiser en une force de type militaire, sous une direction crédible, pour affronter les gangs. Ils avaient déjà élaboré un plan d’action. Cette vision semble maintenant se concrétiser.
Certaines voix – comme celle du secrétaire d’État américain Marco Rubio – ont suggéré que, face à l’inaction du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Organisation des États américains (OEA) devrait prendre l’initiative. Toutefois, l’OEA ne dispose pas de capacité militaire, et sa Charte interdit toute intervention dans les affaires intérieures de ses États membres. Même si le gouvernement haïtien en faisait la demande, les autres gouvernements hésiteraient en l’absence d’un mandat international.
C’est dans ce contexte que l’OEA a tenu sa 55e session ordinaire de l’Assemblée générale, le 27 juin 2025 à Antigua-et-Barbuda. L’Assemblée a adopté une résolution appelant à des « solutions concrètes pour résoudre la grave crise sécuritaire et institutionnelle en Haïti ».
Cette résolution reconnaît l’effondrement sécuritaire, politique, économique et humanitaire du pays. Elle appelle à une coopération internationale urgente et coordonnée – multilatérale, régionale et bilatérale – pour appuyer Haïti : assistance pour rétablir l’ordre, faciliter l’aide humanitaire et organiser des élections libres et équitables ; augmentation des contributions à la mission MMAS et à la police haïtienne ; application rigoureuse des embargos sur les armes ; réforme judiciaire et lutte contre la corruption pour s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité ; enfin, un délai de 45 jours donné au Secrétaire général de l’OEA pour présenter un plan d’action consolidé – en concertation avec Haïti et l’ONU – afin de fournir une feuille de route structurée pour le soutien institutionnel et le redressement national.
Le problème est que cette résolution ne lie personne, et que le Secrétaire général ne peut élaborer un plan sans l’approbation, le mandat et les ressources des États membres. Ainsi, bien qu’encourageante, cette résolution reste pour l’instant des mots sur du papier. Haïti a besoin d’actes, pas seulement de promesses. Elle a besoin de ressources, pas seulement de discours.
Pire encore, le président américain Donald Trump a proposé de réduire de 9,4 milliards de dollars les contributions américaines à l’ONU. Comme l’a récemment souligné la chroniqueuse Jacqueline Charles dans le Miami Herald, cela mettrait en péril des programmes pour Haïti, y compris la mission MMAS.
Si cette crise s’aggrave – ce qui semble désormais inévitable – les conséquences ne s’arrêteront pas aux frontières d’Haïti. Pressions migratoires régionales, criminalité transnationale et répercussions humanitaires nous toucheront tous. La guerre mêlant drones, gangs et mercenaires ne mettra pas fin aux souffrances du peuple haïtien. Cela peut sembler nécessaire par désespoir, mais plus cette voie violente perdure, plus il sera difficile de retrouver une solution pacifique.
La CARICOM n’a ni l’argent ni les troupes pour aider Haïti. Mais elle dispose d’outils diplomatiques, de capacités de réponse humanitaire, et d’une voix forte à l’ONU. Elle peut aussi appuyer la mise en œuvre du plan du Secrétaire général de l’OEA.
La Caraïbe ne peut détourner le regard. Les gouvernements de la CARICOM doivent continuer à rechercher de nouvelles façons d’engager Haïti de manière significative.
Sir Ronald Sanders est ambassadeur d’Antigua-et-Barbuda aux États-Unis. Les opinions exprimées sont strictement les siennes. Pour répondre ou consulter ses précédents articles : www.sirronaldsanders.com
Ronald Sanders | Haiti is bleeding – and the Caribbean cannot look away
Haiti continues to wallow in deep crisis as criminal gangs entrench their violent control over nearly 90 per cent of Port-au-Prince and other parts of the country. These armed groups have become a de facto regime of terror.
Especially chilling is the rampant sexual violence being used as a twisted reward for gang members, some as young as 14. As I noted in my previous commentary, young women and girls are being raped with impunity in areas under gang rule. Kidnappings for ransom are an everyday fear, and normal life is grasped in the brief moments that it comes. The trauma inflicted on Haitian society is incalculable.
The Transitional National Council (TNC), charged with governing Haiti until February 2026, has been unable to contain this descent into chaos. The Haitian National Police are both outmanned and outgunned. Meanwhile, the Multinational Security Support (MSS) mission of mostly Kenyan troops – deployed in the absence of a UN Security Council-authorised force – is largely confined to barracks. Starved of funding and operating without a clear mandate to use force, their capacity to confront the gangs is essentially non-existent.
Faced with these dire realities, the TNC has taken an extraordinary and controversial step: hiring a private mercenary group to combat the gangs. Until last week, this initiative remained unannounced and unexplained. The TNC had not identified the group involved, disclosed the financial terms, or described its rules of engagement. Surprisingly, this development has received scant international press coverage. But details are now beginning to emerge.
According to the UK Guardian newspaper, the mercenary group has deployed “first-person view” (FPV) kamikaze drones – equipped with commercial mining explosives – to identify and kill gang leaders. But after three months of drone operations, not a single gang leader has been confirmed killed. Instead, several drone strikes have damaged buildings in gang-controlled zones and may have harmed civilians. These are dangerous occurrences in a fragile and densely populated environment.
Yet the TNC’s decision is not without logic. With a paralysed MSS, a compromised national police force, and no external military assistance under UN authority, Haitian leaders are at the end of their tether. In this vacuum, the mercenaries appear to be the only actors taking the fight directly to the gangs. And this has led even some Haitian human rights defenders to reluctantly view the use of mercenaries as a “necessary evil.”
But this course of action is fraught with risk. As I warned earlier, it is only a matter of time before the gangs strike back using the same technology. That time may be fast approaching. Reports surfaced last month of three alleged gang members being arrested in neighbouring Dominican Republic while attempting to purchase drones. Meanwhile, the mercenary group in Haiti is reportedly building a 150-person strike force from among overseas-based Haitians with prior service in the military forces of Canada, France, and the United States. A substantial weapons cache has already been moved into the country.
I am not surprised at this development. More than two years ago, leaders in the Haitian diaspora in the United States told me they were willing to organise themselves into a military-style force under credible leadership to confront the gangs. They already had an organisational blueprint. That vision now appears to be taking form.
Some voices – like that of US Secretary of State Marco Rubio – have suggested that, in the face of UN Security Council inaction, the Organization of American States (OAS) should take the lead. However, the OAS has no military capability, and its Charter forbids intervention in the domestic affairs of its Member States. Even if the Haitian government invited them, governments would still draw back in the absence of international authority.
It is in this context that the OAS held its 55th Regular Session of the General Assembly on June 27, 2025, in Antigua and Barbuda. The Assembly adopted a resolution, “Calling for concrete solutions to resolve the grave security and institutional crisis in Haiti.”
The resolution acknowledges Haiti’s deep security, political, economic, and humanitarian collapse. It calls for urgent and coordinated international cooperation – multilateral, regional, and bilateral – to support Haiti; assistance to restore law and order, facilitate humanitarian aid, and organise free and fair elections; increased contributions to the MSS mission and the Haitian police; stricter enforcement of arms embargoes and illegal weapons control; judicial reform and anti-corruption efforts to tackle root causes of instability; and a 45-day deadline for the OAS Secretary General to present a consolidated Action Plan – developed in consultation with Haiti and the UN – to provide a structured roadmap for institutional support and national recovery.
The problem with the resolution is that it is binding on no one, and the Secretary General cannot develop a plan that is not approved, mandated, and resourced by Member States. So, while the resolution is encouraging, it is still words on paper. Haiti needs action, not just the expression of commitments. It requires resources, not just rhetoric.
Worse now, US President Donald Trump has called for slashing $9.4 billion in UN contributions. As columnist Jacqueline Charles pointed out recently in Miami Herald, this would jeopardise programmes for Haiti, including the MSS mission.
If this crisis escalates – as it now seems set to do – the consequences will not stop at Haiti’s borders. Regional migration pressures, transnational crime, and humanitarian spillovers will affect us all. Warfare of drones, gangs, and mercenaries will not spare the Haitian people from suffering. It may seem necessary out of desperation, but the longer this violent path continues, the harder it becomes to find a peaceful solution.
CARICOM does not have the money or troops to help Haiti. Still, it does have the capacity for diplomatic coordination, humanitarian response, and high-level advocacy at the UN, as well as for assisting the OAS Secretary General’s plan to become a reality.
The Caribbean cannot look away. CARICOM governments must continue to seek new ways to offer Haiti meaningful engagement.
Sir Ronald Sanders is Antigua and Barbuda’s ambassador to the US. The views expressed are entirely his own. For responses and previous commentaries visit: www.sirronaldsanders.com

