Deux ans après l’assassinat du journaliste haïtien Gary Tesse, les accusations s’accumulent contre Ronald Richemond, ancien commissaire du gouvernement des Cayes. Soupçonné d’avoir orchestré le meurtre du chroniqueur de l’émission Gran Lakou, l’ex-procureur est également mis en cause dans une série de scandales liés à des vols de terres et au trafic de drogue dans le sud du pays. Forbidden Stories, en partenariat avec AyiboPost, a poursuivi l’enquête interrompue par la mort violente du journaliste.
Le 24 octobre 2022, le corps mutilé de Gary Tesse est retrouvé sur une plage de la baie des Cayes. Ses yeux, sa langue et ses parties génitales ont été tranchés. Ces marques de violence renvoient, selon plusieurs témoins, à des pratiques vaudou utilisées pour empêcher le retour de l’esprit du défunt. Rapidement, les soupçons convergent vers Ronald Richemond, cible régulière des dénonciations du journaliste.
“Son mode opératoire”
Ancien bras droit du magistrat, Ricardo Bain, dit Chito, accuse aujourd’hui son ancien supérieur d’avoir commandité l’assassinat. “Il arrachait les dents, crevait les yeux, coupait la langue et les parties génitales de ses victimes”, affirme-t-il, assurant que Richemond avait ordonné l’enlèvement de Gary Tesse. D’autres témoins, dont un ex-garde du corps, confirment l’existence d’un plan d’élimination étalé sur plusieurs mois.
Dans une rare prise de parole, Richemond nie toute implication : “Pourquoi m’accuser ? Est-ce parce que je suis populaire ?” Il reconnaît avoir emprunté la voiture de Chito, mais qualifie ce dernier de “délinquant”.
Le silence de la justice
Malgré les témoignages concordants et l’inculpation officielle prononcée par le juge Jean Michelet Séide, l’enquête piétine. Le magistrat d’instruction, menacé, envisage de se retirer faute de protection : “Ma vie est en jeu. Je n’ai même pas un véhicule blindé.”
Quant aux suspects arrêtés, certains ont déjà été libérés. Wilkens Thiogène, soupçonné d’avoir exécuté Tesse, a été remis en liberté sur la base d’un faux document imitant la signature du juge chargé du dossier. Richemond est accusé d’avoir orchestré cette manœuvre, ce qu’il conteste.
“Voler les terres, sa spécialité”
L’affaire Tesse a également mis en lumière un système de prédation foncière. Selon plusieurs sources, dont d’anciens collaborateurs du parquet, Richemond aurait utilisé sa fonction pour s’emparer illégalement de dizaines de terrains dans la région des Cayes, profitant de l’absence de cadastre et de la destruction des archives de la Direction Générale des Impôts.
Certains biens auraient été revendus à prix fort, d’autres attribués à des proches. La sociologue Michèle Oriol dénonce un système “entièrement verrouillé” par un réseau d’huissiers, de notaires et de policiers. Une habitante, Vanté Merita, qui s’était opposée à l’appropriation d’un terrain familial, affirme avoir été battue, arrêtée et voir sa maison incendiée.
Des soupçons de trafic de drogue
Enfin, une piste de trafic de stupéfiants alourdit le dossier Richemond. En octobre 2023, un avion contenant de la cocaïne en provenance de Colombie atterrit clandestinement à Ducis, au nord des Cayes. Plusieurs témoins affirment avoir vu Richemond et des policiers sur les lieux. Selon Chito, le commissaire aurait intercepté certaines cargaisons et en aurait supervisé la revente.
Un système en place malgré sa révocation
Révoqué en avril 2025, Ronald Richemond continue d’exercer une influence dans la région. Ses partisans circulent lourdement armés, et plusieurs témoins disent craindre pour leur vie. Dans les studios de la radio LeBon FM, où Gary Tesse animait Gran Lakou, ses collègues poursuivent son combat : “Nous demanderons justice jusqu’au bout”, affirme Charles Boyer, qui a repris l’émission.
À ce jour, aucun procès n’est en vue. Et dans une Haïti rongée par la corruption, l’impunité continue de protéger ceux qui, comme Ronald Richemond, ont su faire du pouvoir un instrument de fortune et de violence.