Indépendance américaine et contribution de Saint-Domingue : une articulation atlantique méconnue
La guerre d’indépendance américaine (1775–1783) s’inscrit dans un cycle de révolutions politiques transatlantiques où s’affrontent des conceptions divergentes de la souveraineté, du droit et de la représentation. Après la guerre de Sept Ans, l’Empire britannique impose de nouvelles taxes aux Treize Colonies (Stamp Act, Townshend Acts), suscitant une vive opposition. Le refus d’une fiscalité sans représentation (« no taxation without representation ») se transforme rapidement en revendication de souveraineté populaire. Le Common Sense de Thomas Paine (1776) joue un rôle idéologique majeur dans cette radicalisation, préparant le terrain pour la Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, rédigée par Thomas Jefferson, qui affirme des droits naturels censés être universels, bien qu’exclusifs dans leur application.
Dans cette lutte asymétrique, l’aide de la France à partir de 1778 est déterminante. Elle s’opère notamment via la plus riche colonie française de l’époque, Saint-Domingue, dont le port du Cap-Français devient un pivot logistique pour les troupes navales et les approvisionnements français. Surtout, en 1779, un contingent de plus de 500 hommes de couleur libres, la Légion de Saint-Domingue, prend part à la bataille de Savannah, en Géorgie, aux côtés des forces franco-américaines. Cet engagement, quoique peu documenté dans l’historiographie dominante, constitue une contribution directe de soldats afro-descendants à la naissance des États-Unis. Selon certaines sources, un jeune Henri Christophe, futur roi d’Haïti, aurait participé à cette expédition comme aide volontaire (Girard, 2016).
La Déclaration d’indépendance américaine, en invoquant des principes inspirés de Locke et du jusnaturalisme, pose les bases d’un ordre politique nouveau fondé sur la souveraineté populaire et la séparation des pouvoirs. Toutefois, ces principes demeurent en contradiction flagrante avec la réalité socio-économique du nouvel État : l’esclavage y reste institutionnalisé, les femmes et les autochtones en sont exclus, et les Noirs qui ont combattu pour la liberté sont marginalisés. La promesse républicaine est donc à la fois fondatrice et inachevée. Comme l’observe Gordon S. Wood, « The American Revolution was not simply a colonial rebellion; it was a social and political transformation » (1993, p. 5), mais une transformation profondément inégalitaire.
En retour, cette expérience militaire et politique agit comme catalyseur dans les Caraïbes. L’engagement des affranchis de Saint-Domingue aux côtés des insurgés américains, l’exposition aux idées républicaines et les contradictions du discours universel des Lumières nourrissent la conscience politique d’une génération haïtienne en devenir. Quelques années plus tard, la révolution de Saint-Domingue éclatera (1791), portant à son acmé la lutte pour la liberté dans l’espace atlantique, et débouchant en 1804 sur la première abolition durable de l’esclavage et la création de la première république noire moderne. La participation haïtienne à l’indépendance américaine constitue ainsi un chaînon manquant de la mémoire atlantique, à la fois stratégique, militaire et symbolique.
sources:
Bailyn, Bernard. The Ideological Origins of the American Revolution. Harvard University Press, 1967.
Dubois, Laurent. Avengers of the New World: The Story of the Haitian Revolution. Harvard University Press, 2004.
Foner, Eric. The Story of American Freedom. W. W. Norton, 1998.
Girard, Philippe R. Toussaint Louverture: A Revolutionary Life. Basic Books, 2016.
Quarles, Benjamin. The Negro in the American Revolution. University of North Carolina Press, 1961.
Wood, Gordon S. The Radicalism of the American Revolution. Vintage, 1993.

