Auteur : Ralf Dieudonné JN MARY
Auteur, conférencier, mentor et enseignant haïtien. Ingénieur civil diplômé de la Faculté des Sciences de l’Université d’État D’Haïti.
jeanmaryralf@gmail.com
Téléphone : (+509) 34520855
Un jour, dans le calme de son bureau, mon professeur, un homme que j’estime profondément, un homme de valeur et de vision, dont le parcours continue de m’inspirer, m’a dit ces mots :
« Ayisyen gen kè di. »
Ce n’était pas du mépris. Ce n’était pas un jugement hâtif.
C’était un constat lucide, douloureux peut-être, sur l’état de nos relations les uns avec les autres. Il ne parlait pas contre son peuple. Il en parlait avec le regard de quelqu’un qui l’aime, qui croit en lui, mais qui voit aussi ses blessures. Il mettait des mots sur ce que tant d’autres ressentent en silence : que nous avons appris à nous méfier, parfois même à nous rejeter, et que, quelque part, nous avons désappris à nous aimer.
Dans un taxi collectif, un autre jour, un passager est descendu et a demandé sa monnaie en petites coupures. En récupérant sa monnaie, il a exigé que des billets de cinquante gourdes. Le chauffeur, avec un sourire amer, a répondu :
« Ayisyen, m ba l tout biyè 50 goud sa yo, l ap mandem toujou. »
Des phrases simples, presque banales. Mais elles trahissent une blessure plus profonde : une habitude de suspicion, de mépris, que nous avons normalisée. Nous avons pris l’habitude de parler mal de nous-mêmes, de rabaisser nos frères et sœurs, parfois même sans nous en rendre compte. Comme si l’on nous avait appris à douter de nous-mêmes, à nous méfier de notre propre sang.
Et pourtant…
Je le dis avec force : un Haïtien est l’un des êtres les plus courageux de cette planète.
Chaque jour, il se bat. Pour survivre, pour nourrir ses enfants, pour continuer à croire, à rêver, à avancer. Malgré tout. Malgré l’insécurité. Malgré la faim. Malgré les routes bloquées, les écoles fermées, les hôpitaux dévastés. Il se lève. Il recommence. Il espère.
Ce peuple ne demande pas la lune.
Il demande simplement à vivre, librement.
À pouvoir vendre son commerce. Aller de Gonaïves à Port-au-Prince sans trembler. Envoyer ses enfants à l’école sans supplier la chance.
Et à vous qui avez la mission de le diriger, je dis ceci avec tout le respect que la fonction mérite :
Si vous êtes gestionnaire de l’État, si vous avez l’honneur de servir ce peuple admirable, alors vous portez une mission sacrée. Ce peuple ne réclame ni luxe, ni privilège. Il aspire simplement à vivre dans la dignité, à circuler sans crainte, à élever ses enfants dans la paix. Comme un père inquiet pour ses enfants, un dirigeant ne trouve pas le repos tant que les siens vivent dans la peur et l’incertitude. Ce n’est pas un reproche, mais un rappel : un leader, comme un parent, ne peut se sentir en paix tant que ses enfants vivent dans l’angoisse. Il écoute, il agit, il prépare un lendemain plus sûr. Ce chemin est difficile, mais il est possible et vous pouvez en être les artisans.
Gouverner, c’est veiller, c’est protéger, c’est bâtir un chemin sûr pour les générations futures. Ce devoir est grand, mais il est aussi porteur de grandeur.
Même celui qui tient aujourd’hui une arme dans les rues d’Haïti a un cœur. Ce n’est pas l’arme qui ferme les hôtels, qui fait fuir les touristes ou qui ruine nos espoirs. C’est l’ignorance. C’est l’absence d’éducation. C’est le vide où auraient dû se trouver des valeurs.
On ne lui a pas appris qu’un touriste fait vivre une famille.
Qu’un hôtel est une source d’emploi.
Qu’une école est un trésor national.
Qu’un enfant en uniforme est sacré.
Il est tragique qu’un leader qui se dit révolutionnaire ne rappelle pas cela à ses partisans. Qu’il ne leur dise pas : « Protégez l’école. Laissez passer les élèves. Épargnez l’avenir. »
On ne construit pas une révolution sur des écoles fermées ou des hôpitaux brûlés.
Être haïtien, ce n’est pas une honte.
Ce n’est pas une malédiction.
C’est une promesse. Une responsabilité. Une force.
Mais nous n’avons pas encore décidé de l’image que nous voulons renvoyer au monde. Trop souvent, nous laissons d’autres écrire notre récit à notre place.
Nous acceptons des stratégies dictées de l’extérieur, même quand elles nous brisent.
Nous chantons des refrains défaitistes, pendant que d’autres chantent leur victoire.
Haïti n’est pas finie.
Haïti est en attente.
Elle attend qu’on la regarde avec amour. Qu’on se regarde entre nous avec respect.
Qu’on redresse la tête. Ensemble.
Nous devons réapprendre à nous aimer, à nous valoriser, à protéger l’image de ce que nous sommes.
C’est ainsi que nous pourrons exiger de nos dirigeants qu’ils soient à la hauteur.
C’est ainsi que nous pourrons exiger de nous-mêmes d’être meilleurs, plus solidaires.
C’est ainsi que nous pourrons reconstruire.
Nous devons réapprendre à respecter notre propre peuple si nous voulons construire un avenir solide pour Haïti.
Ralf Dieudonné JN MARY
Citoyen convaincu que le respect de soi est la première pierre d’une Haïti forte et unie.


