29 décembre 2025
L’Edito du Rezo – Haïti, la République à l’encre rapide : trente minutes pour deux décrets
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L’Edito du Rezo – Haïti, la République à l’encre rapide : trente minutes pour deux décrets

Haïti, théâtre d’un pouvoir sans public : quand le Conseil des ministres devient rituel d’illusion. L’État n’agit plus ; il décrète. Il ne gouverne plus ; il entérine ce qui est déjà décidé ailleurs, dans l’opacité.

Il aura suffi d’à peine trente minutes. Un Conseil des ministres expédié, enfin tenu le mardi 24 juin 2025, au cours duquel le gouvernement de doublure a adopté deux textes d’une portée pourtant historique : un nouveau Code pénal et un décret convoquant un référendum constitutionnel. Moins d’une demi-heure pour refonder l’architecture juridique de la République et bouleverser son ordre constitutionnel. L’acte, s’il n’était aussi grave, prêterait à la satire. Mais il signe, plus profondément, la rupture définitive entre le pouvoir et la légitimité.

Car enfin, quelle autorité morale ou institutionnelle peut encore se prévaloir de parler au nom du peuple, lorsque les institutions sont désertées, les territoires livrés aux gangs, et que la voix populaire n’est ni entendue, ni consultée ? Dans l’Artibonite comme dans l’Ouest, les armes dictent la loi. À La Saline, à Carrefour-Feuilles, à Savien, Kenskoff… le silence des urnes ne relève pas d’une abstention, mais d’un empêchement armé. Et pourtant, c’est dans cet environnement dévasté que le gouvernement illégitime prétend faire voter une population qu’il ne protège pas, qu’il ne visite plus, qu’il ne représente plus.

Le référendum PHTK/CPT annoncé relève ainsi d’un double déni : déni juridique d’abord, puisque la Constitution de 1987 proscrit explicitement toute révision référendaire en dehors du pouvoir constituant législatif ; déni démocratique ensuite, car il n’existe ni Conseil électoral indépendant en exercice, ni climat de sécurité minimale, ni volonté de transparence. Il ne s’agit pas ici d’un acte de réforme, mais d’un simulacre de légalité enveloppé dans le formalisme vide d’un Conseil des ministres fantoche. L’État n’agit plus ; il décrète. Il ne gouverne plus ; il entérine ce qui est déjà décidé ailleurs, dans l’opacité.

Ce moment politique est d’autant plus alarmant qu’il s’inscrit dans une normalisation de la décrépitude. Un Conseil des ministres censé incarner la collégialité du pouvoir devient une scène muette, réduite à la lecture rapide de décrets déjà rédigés, jamais débattus. Dans une démocratie authentique, la lenteur du processus décisionnel est un gage de rigueur ; en Haïti, la rapidité devient l’indice d’un effondrement. Ce n’est plus le peuple qui est gouverné : c’est l’apparence du gouvernement qui gouverne.

Le mot de Machiavel semble ici s’inverser : « Le prince doit savoir feindre. » Mais ici, c’est l’État entier qui feint d’exister, en multipliant les gestes de pouvoir dans un vide de souveraineté. C’est cela, désormais, l’abîme haïtien : une République sans république, une administration sans gouvernance, des décrets sans autorité. Il ne s’agit plus de s’interroger sur la validité des décisions prises, mais sur la fiction même de leur prise.

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