29 décembre 2025
Haïti : Ce que nous refusons de dire à nos enfants est en train de nous détruire
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Haïti : Ce que nous refusons de dire à nos enfants est en train de nous détruire

par Ralf Dieudonné JN MARY 
Auteur, conférencier, mentor et enseignant haïtien  
Ingénieur civil diplômé de la Faculté des Sciences de l’Université d’État d’Haïti 
jeanmaryralf@gmail.com  
(+509) 34520855  

Haïtiens, où que vous soyez, écoutez-moi.

Que vous viviez à Port-au-Prince, à Gonaïves, à Montréal, à New York ou à Santiago, que vous soyez médecin ou marchand, croyant ou non, riche ou pauvre, ce que je m’apprête à dire vous concerne tous. Parce qu’il ne s’agit pas de politique. Il ne s’agit pas d’idéologie. Il s’agit de nous. De ce que nous sommes en train de perdre en silence.

Il y a quelque chose de grave qui se passe. Et ce n’est pas dans les journaux, ni dans les chiffres, ni dans les bulletins d’information. Ce qui se passe, c’est que notre mémoire meurt.

Et elle ne meurt pas dans un grand fracas. Elle meurt doucement, chaque fois qu’un adulte dit à un enfant : “Déplace-toi. Pa chita anba bouch granmoun.” Elle meurt quand un père ne prend plus le temps de raconter à son fils d’où il vient. Elle meurt quand une mère croit qu’un téléphone ou une tablette suffit à éduquer sa fille. Elle meurt quand un grand-parent garde pour lui les souvenirs de ses luttes, de ses douleurs, de ses rêves, croyant qu’un enfant est trop jeune pour comprendre. Et pourtant, cet enfant est celui qui nous remplacera.

Notre peuple, depuis toujours, valorise la parole vivante. La transmission orale a été un pilier de notre culture. Mais nous avons aussi des livres. Des bibliothèques. Des textes précieux qui témoignent de notre passé. Le problème, ce n’est pas l’absence d’ouvrages, c’est le silence autour de ce que ces ouvrages ne disent pas. Trop souvent, notre histoire est racontée comme une suite de faits, de dates, d’invasions, de souffrances imposées. Mais qu’en est-il de nos responsabilités ? De nos divisions ? De nos mauvais choix ? De nos moments d’irresponsabilité ? De nos occasions manquées ? Ce sont aussi ces vérités que nos enfants doivent entendre. Pas pour nous accuser. Mais pour qu’ils ne répètent pas ce que nous avons mal fait.

Mais nous devons aussi parler aux jeunes avec courage. Trop souvent, nos aînés veulent seulement se montrer comme des modèles, des héros, des figures parfaites. Et cela les empêche de dire la vérité. Pourtant, nos jeunes ont besoin de savoir que même leurs professeurs, leurs médecins, leurs ingénieurs, leurs prêtres, leurs pasteurs, leurs anciens sénateurs ou députés ont fait des erreurs. Nous ne pouvons plus dissimuler. Nous devons oser dire ce que nous aurions pu mieux faire. Oser reconnaître ce que nous avons manqué, par choix ou par fatigue. Parfois nous disons que nous n’avons pas le temps. Que nous avons eu une dure journée. Mais la vérité, c’est que parfois, nous ne prenons pas le temps parce que nous avons peur. Peur qu’ils nous dépassent.

Et pourtant, s’ils ne nous dépassent pas, seront-ils vraiment prêts à nous remplacer ? Nous voyons leur potentiel, mais nous leur donnons une connaissance limitée. Nous les maintenons à un niveau inférieur. Et cela aussi est une faute. Car élever quelqu’un, c’est accepter qu’un jour, il vous dépasse pour aller plus loin.

Nous avons accepté de perdre l’intimité avec nos enfants. Nous avons accepté de ne plus créer d’espaces pour leur transmettre ce que nous savons. Pourtant, ce n’est pas la technologie qui est notre ennemie. C’est l’oubli. Ce n’est pas un crime d’apprendre à un enfant à utiliser un ordinateur. C’est une tragédie de ne pas lui apprendre d’abord qui il est.

Il est temps de renverser la tendance. Il est temps de réparer la chaîne rompue entre ceux qui ont vu et ceux qui doivent agir. Car un peuple qui prépare ses enfants uniquement à réussir, sans leur dire d’où ils viennent, les prépare surtout à se perdre.

Nous devons réhabiliter la parole. Pas seulement dans les grandes conférences, mais dans la vie quotidienne. Dans la cour. Dans la cuisine. Sous la galerie. Dans ces espaces simples où l’on peut dire : “Viens t’asseoir ici. Je vais te raconter ce que j’ai vu. Ce que j’ai compris. Ce que j’ai mal fait. Ce que j’aurais aimé qu’on me dise.” Il ne s’agit pas de discours, mais de confidences. Pas de sermons, mais de vérités transmises avec amour.

C’est dans ces moments que se construit une conscience. C’est là que naît une mémoire nationale. Et c’est par là que commence la libération.

Haïti ne pourra survivre que si chaque Haïtien s’engage à transmettre la mémoire de son peuple à ses enfants.

Si ce texte résonne en vous, ce n’est pas parce qu’il est bien écrit. C’est parce que vous savez, au fond de vous, que c’est vrai. Alors ne laissez pas cette vérité mourir entre vos mains. Transmettez-la.

Ralf Dieudonné JN MARY 

Engagé depuis toujours pour la mémoire et la dignité d’Haïti, je crois en la force des paroles qui rassemblent et réveillent les consciences.

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