On réduit souvent la diplomatie à un protocole, à des formules de politesse, à des réceptions feutrées entre représentants de nations. Une image poussiéreuse, déconnectée des urgences d’un pays comme Haïti, confronté à l’insécurité, à la pauvreté, à l’instabilité institutionnelle.
Et pourtant.
Dans un monde interconnecté, rien n’est plus stratégique qu’une diplomatie forte, cohérente, active. Une diplomatie moderne n’est pas une affaire de prestige, mais une condition de survie et de développement.
Diplomatie et développement économique : un tandem inséparable
Les États qui réussissent à sortir de la pauvreté ont compris une vérité simple : on ne développe pas un pays isolé. Le commerce, les investissements directs étrangers, les transferts technologiques, les marchés d’exportation, les financements internationaux — tout cela dépend de la capacité d’un pays à négocier, à convaincre, à se faire entendre.
C’est le rôle premier de la diplomatie économique : ouvrir des portes. Aller chercher des marchés pour les produits nationaux. Sécuriser des investissements pour les infrastructures. Rechercher des partenariats technologiques, agricoles, énergétiques. Identifier des niches stratégiques.
Or Haïti, dans ce domaine, est muette.
Pendant que d’autres petits États développent un réseau dense de diplomates économiques, Haïti continue d’envoyer des émissaires sans feuille de route, sans objectifs chiffrés, sans formation de base en commerce international. Elle ne défend pas ses exportations. Elle n’attire aucun investisseur sérieux. Elle n’existe pas sur les radars économiques mondiaux.
Défendre ses citoyens, c’est aussi défendre son développement
Avec plus de 2 millions de ressortissants vivant à l’étranger, la diaspora haïtienne est un pilier de l’économie nationale. En 2023, les transferts de fonds de la diaspora ont dépassé les 3 milliards de dollars américains. Cette manne est vitale. Elle finance la consommation, les soins de santé, la scolarisation, et dans certains cas, l’investissement immobilier.
Mais cette diaspora, pilier invisible, est laissée seule. Quand des migrants haïtiens sont expulsés massivement, humiliés, détenus sans jugement — que fait la diplomatie ? Elle observe. Elle se tait.
Quand des compatriotes sont victimes de racisme, d’abus, d’exploitation, où est l’ambassade ? Nulle part.
Le pays n’a pas de politique migratoire extérieure. Pas de défense consulaire coordonnée. Pas de stratégie pour mobiliser la diaspora autrement que pour son argent.
Protéger ses citoyens à l’étranger, c’est protéger son capital humain. C’est défendre sa dignité nationale. C’est construire une relation mutuellement bénéfique avec sa diaspora. Une diplomatie efficace ne les regarde pas comme des tirelires, mais comme des partenaires.
Il est temps qu’Haïti en fasse autant.
La diplomatie culturelle : arme douce, puissance durable
On sous-estime souvent la force de la culture comme outil diplomatique. Et pourtant, c’est par la musique, le cinéma, les livres, l’art, la gastronomie que de nombreux pays ont conquis les esprits — et les marchés. Le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, la France ou même le Sénégal ont su se construire une image internationale forte grâce à une diplomatie culturelle offensive.
Haïti a tout pour jouer ce rôle : un patrimoine artistique foisonnant, une littérature vivace, une histoire révolutionnaire unique, une créativité populaire reconnue. Mais rien n’est structuré. Les ambassades n’ont ni budget ni vision culturelle. Les artistes haïtiens doivent se débrouiller seuls. Les événements culturels internationaux se font sans nous.
Or, une diplomatie culturelle efficace crée des opportunités économiques. Elle construit une image positive. Elle attire le tourisme, favorise l’investissement, crédibilise la parole politique du pays. C’est un capital immatériel qu’Haïti laisse à l’abandon.
Une voix dans le monde pour exister politiquement
Les relations internationales sont un jeu de rapports de force. Il ne suffit pas d’avoir raison : il faut savoir convaincre, rassembler, manœuvrer. Sans diplomatie, un pays devient l’objet de décisions prises ailleurs. Il perd toute influence. Il est manipulé.
Haïti, faute d’avoir une diplomatie structurée, n’est jamais au centre des discussions qui la concernent. Elle est absente des négociations sur la dette, sur le climat, sur les questions migratoires. Elle subit les décisions d’autrui. Elle ne pèse rien sur les forums internationaux. Et pour cause : elle n’a ni ligne directrice, ni représentants compétents, ni stratégie géopolitique claire.
Redonner une voix politique à Haïti dans le monde, ce n’est pas de l’orgueil. C’est une nécessité. Une diplomatie forte est un outil de souveraineté. Sans elle, on dépend de la charité, on devient un pion dans le jeu des puissances.
Construire la diplomatie du XXIe siècle pour Haïti
Haïti n’a pas besoin de copier les autres. Elle a besoin d’inventer une diplomatie à son image : résolument moderne, enracinée dans son histoire, portée par des visionnaires, adossée à une stratégie de développement claire.
Une diplomatie au service du peuple, et non au service de castes.
Cela exige des réformes profondes. Des choix courageux. Une volonté de briser les vieilles logiques de copinage. De former une nouvelle génération de diplomates : stratèges, économistes, juristes, défenseurs de droits humains, experts culturels.
Cela exige un sursaut de dignité.
Car au fond, une diplomatie efficace, ce n’est pas une affaire de ministère. C’est une affaire de vision.
Daniel Alouidor

