13 juillet 2025
Haïti – Quand l’ambassade devient un salon : clientélisme, corruption et inutilité
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Haïti – Quand l’ambassade devient un salon : clientélisme, corruption et inutilité

Dans l’imaginaire collectif, une ambassade est un lieu stratégique. On y défend l’intérêt national, on y négocie des accords, on y protège les citoyens à l’étranger, on y promeut la culture et l’économie du pays.

Mais en Haïti, bien souvent, l’ambassade n’est ni un lieu de pouvoir ni une vitrine de la nation. Elle devient ce qu’elle n’aurait jamais dû être : un salon mondain, un poste de prestige offert en récompense ou vendu au plus offrant. Un théâtre d’apparence, vidé de sens et de mission.

De la diplomatie au décorum : le règne du paraître

Le diplomate haïtien d’aujourd’hui n’a pas de mandat clair. Il n’est ni stratège, ni négociateur, ni technicien des relations internationales. Il est souvent un ancien ministre recyclé, un homme d’affaires en quête d’immunité, un militant politique récompensé pour sa loyauté électorale, ou, dans certains cas, un illustre inconnu dont la seule compétence est la proximité avec un puissant du moment.

Et une fois nommé, que fait-il ? Il parade. Il s’installe dans un appartement luxueux. Il participe à quelques cocktails. Il fait des photos avec d’autres diplomates. Il s’assure que ses enfants soient dans une bonne école. Il s’absente du poste pendant des semaines. Il devient invisible pour les ressortissants haïtiens, mais omniprésent dans les cercles de prestige. Une ambassade devient alors un décor, une scène sociale, un symbole de réussite personnelle — mais en aucun cas un instrument de politique étrangère.

Clientélisme d’État : le poste diplomatique comme monnaie d’échange

En Haïti, devenir ambassadeur ou consul ne passe pas par une carrière, une formation ni une évaluation. Cela passe par une transaction. Dans certains cas, littéralement. On achète son poste. On paie pour obtenir un consulat stratégique : Miami, New York, Montréal, Paris, Santiago. On investit dans une campagne présidentielle ou législative avec la promesse d’un poste à l’étranger une fois l’allié au pouvoir. Le réseau diplomatique devient alors une extension du système de corruption politique.

Les conséquences sont désastreuses. Les personnes nommées ne rendent aucun compte. Elles ne respectent aucune règle. Les abus de pouvoir se multiplient : délivrance de passeports contre argent et trafics divers. Dans certains consulats, les citoyens haïtiens se plaignent de mauvais traitements, de favoritisme, de mépris. Ils y trouvent des barrières, pas des solutions.

Une diplomatie sans action ni résultat

Combien d’accords économiques ont été négociés par les ambassades haïtiennes ces dix dernières années ? Combien d’investisseurs étrangers ont été accompagnés ? Combien de partenariats culturels ou scientifiques ont été établis ? Combien de pays ont été influencés pour voter en faveur d’Haïti dans une enceinte internationale ? Combien d’expulsions collectives de migrants haïtiens ont été évitées grâce à une intervention diplomatique ? Le chiffre est vertigineusement bas. Parce qu’en réalité, ces missions n’existent pas.

Haïti n’a pas de diplomatie économique. Elle n’a pas de diplomatie culturelle. Elle n’a pas de diplomatie environnementale. Elle n’a pas de stratégie de lobbying. Elle n’a pas de réseau d’influence. Elle a des ambassades qui survivent, non qui agissent.

Et quand l’État est mutique, quand il n’a plus de voix officielle crédible, d’autres parlent à sa place : les ONG, les institutions internationales, parfois même des États tiers, comme la République Dominicaine.

Honte suprême!

Un peuple abandonné à l’étranger

La tragédie se poursuit chez les millions d’Haïtiens vivant à l’extérieur. Dans les grandes villes de la diaspora, il est devenu presque inutile de contacter l’ambassade. On n’y trouve ni aide, ni conseil, ni solidarité. Les citoyens haïtiens en détresse doivent souvent s’en remettre à des associations locales, à des églises, ou à la chance.

Et pourtant, ces mêmes citoyens envoient des milliards de dollars de transferts chaque année. Ce sont eux qui financent l’économie haïtienne. Mais l’État haïtien, via sa diplomatie, ne leur offre rien en retour : ni accompagnement, ni sécurité consulaire, ni reconnaissance politique. L’ambassade n’est pas leur maison, mais celle d’un pouvoir qui les ignore.

Changer de paradigme : passer du salon à la mission

Il est temps de refermer le rideau sur ce théâtre inutile. D’en finir avec la diplomatie-salon et le clientélisme diplomatique. Il faut une rupture nette. Un vrai diplomate est un agent au service de l’État, pas un privilégié au service de lui-même.

Chaque ambassade doit être une cellule active, articulée à une stratégie nationale. Elle doit rendre des comptes. Être évaluée. Être dotée d’objectifs mesurables : partenariats conclus, diasporas protégées, positions défendues. Cela suppose un changement complet de mentalité, mais aussi de structure. Le poste d’ambassadeur doit cesser d’être une récompense et devenir un sommet de carrière, mérité, préparé, exigeant.

Car tant que les ambassades resteront des salons où se pavanent les amis du pouvoir, la diplomatie haïtienne restera ce qu’elle est : une façade vide, un luxe inutile, une insulte silencieuse à l’idée même de service public.

Daniel Alouidor

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