Derrière les dorures poussiéreuses de certaines ambassades haïtiennes, au-delà des photos posées de diplomates en costume sur les réseaux sociaux, se cache une réalité accablante : la machine administrative censée faire fonctionner la diplomatie haïtienne est non seulement dysfonctionnelle, mais dans un état avancé de décrépitude. Ni les procédures, ni les structures, ni les hommes (et/ou les femmes) ne sont au niveau des défis de l’époque. La diplomatie haïtienne est une coquille vide qui tient debout par habitude, pas par performance.
Des diplomates sans formation, parachutés au gré du vent politique
Dans toute démocratie fonctionnelle, le recrutement des diplomates répond à des critères rigoureux : concours sélectif, formation continue, spécialisation géographique, apprentissage des langues et du protocole. Rien de tout cela n’existe en Haïti. On devient ambassadeur ou consul par affinité politique, ou par simple proximité personnelle avec un ministre, un chef de parti, un président ou… une maîtresse influente.
Résultat : des représentants du pays qui ne connaissent ni le droit international, ni l’histoire des relations internationales, ni même les intérêts fondamentaux de la nation qu’ils sont censés défendre. Certains ne parlent pas la langue du pays où ils sont accrédités. D’autres ignorent jusqu’au nom de leurs homologues. Plus grave encore, rares sont ceux qui comprennent leur rôle au sein de la machine étatique. Ils flottent dans une bulle d’autonomie paresseuse, entre mondanités diplomatiques et réunions creuses.
Une administration diplomatique archaïque et fragmentée
Au ministère des Affaires étrangères, à Port-au-Prince, les archives sont souvent inaccessibles, non numérisées, ou tout simplement perdues. Les communications avec les ambassades sont lentes, souvent inexistantes. Aucun système informatique centralisé. Aucun tableau de bord en temps réel. Aucun suivi des dossiers en cours. Le ministère fonctionne comme un secrétariat politique, pas comme une administration stratégique.
Des correspondances officielles sont expédiées par WhatsApp ou email personnel. Certaines grandes décisions sont prises sans consultation des postes concernés. Les ambassadeurs improvisent, faute d’instructions précises. Il n’y a ni politique de gestion des talents, ni logique de rotation, ni perspective de carrière. L’anarchie règne. On ne gère pas un réseau diplomatique comme la boutique de Sò Dona.
Un gaspillage chronique de fonds publics
Ajoutons à cette incurie un autre fléau : la dilapidation des ressources. Entre les loyers extravagants payés pour loger certains diplomates dans des quartiers huppés, les frais de représentation mal contrôlés, les missions inutiles et coûteuses, ou encore les subventions opaques à certaines structures à l’étranger, le coût de cette inefficacité est abyssal. Et pourtant, chaque année, le ministère absorbe des millions de gourdes sans jamais justifier l’usage de ces fonds par des résultats tangibles.
Dans plusieurs chancelleries, les employés vivent dans des conditions précaires. Des missions diplomatiques se font déguerpir ou ferment temporairement faute de budget, tandis que d’autres, inutiles, continuent à exister pour maintenir en poste une figure politique encombrante. Le pays finance à perte une diplomatie fantôme.
Aucune stratégie, aucune coordination intersectorielle
La diplomatie haïtienne ne travaille pas avec les autres ministères. Aucune stratégie concertée avec le commerce, la coopération externe, le MHAVE, l’agriculture, le tourisme ou l’environnement. Aucune logique d’exportation des produits haïtiens, de valorisation culturelle ou de défense des positions internationales du pays. Chaque ministère mène sa propre guerre, chacun dans son couloir, sans passerelle ni synergie.
Alors que les autres pays forment des diplomates économiques, culturels, scientifiques, ou des négociateurs aguerris en matière climatique, Haïti reste engluée dans un protocole creux, hérité de l’époque des notables : discours formels, cocktails insignifiants, et présence symbolique à des conférences où personne n’écoute.
Un chantier abandonné, à reprendre d’urgence
Ce naufrage n’est pas une fatalité. Il est le fruit d’un abandon volontaire. Un choix de l’indifférence, du laisser-aller, du mépris de l’État pour lui-même. Pour bâtir une diplomatie digne de ce nom, il faut réinventer l’administration qui la porte. Créer un service professionnel, compétent, apolitique, piloté par des règles, non par des caprices.
A fermer pour restructuration
Cela commence par une réforme administrative d’envergure : audit complet du réseau, fermeture des postes inutiles, professionnalisation du recrutement, numérisation des services, et surtout, redéfinition des priorités. Loin des dorures et des privilèges, il faut une diplomatie qui serve, qui informe, qui défende.
En l’état actuel, l’appareil diplomatique haïtien ne peut même pas gérer une crise consulaire, encore moins influencer une résolution internationale. Il est temps d’en finir avec l’amateurisme, et de faire émerger, enfin, une administration moderne, au service d’une vision nationale.
Daniel Alouidor

