Dans ce témoignage vibrant, Yves Lafortune rend hommage à Mesmin Lecoin, figure discrète mais symbolique d’une génération haïtienne marquée par l’exil et la mémoire partagée. À travers le récit d’une amitié tissée entre Port-au-Prince et la diaspora, se révèlent les dynamiques profondes d’une identité collective confrontée à la perte, à la distance et au temps.
Cher Mesmin, brother normal comme on s’appelait,
C’est Paulette qui m’appelle, tard dans la nuit.
Sa voix, directe mais inquiète, s’égare dans une longue thérapie de prévention comme elle en a le secret
avant de me lâcher, tout à trac :
— As-tu entendu la nouvelle ?
— Quelle nouvelle, Paulette ?
— Mesmin Lecoin…
— Quoi ?
Le nom m’a traversé comme un éclair.
Et dire que, plus tôt ce jour-là, quelque part entre New York et Fort Lauderdale, dans l’entre-deux d’un vol trop calme, je pensais à toi.
Je me disais : « Il faut que je l’appelle, que je lui envoie enfin la photo de ces souliers… ceux dont on avait parlé dans la cour de Julio Midi, pendant que Jimmy Jean-Louis signait Héros. »
Tout cela me semblait encore si proche, si vivant.
Tu aurais dû être là, ce vendredi 13 juin, au Centre Culturel Toussaint Louverture de Boston.
On s’était tous réunis, à l’appel de Valéry Pressat,
pour retrouver, l’espace d’une soirée, l’éclat tranquille de notre adolescence.
Et comme par enchantement,
tu es apparu au beau milieu de la causerie, tel un point d’exclamation dans le grand texte de notre mémoire.
La conversation avait déjà commencé, depuis ton volant.
Mais nos regards, eux,
ne t’avaient pas quitté.
Ils suivaient, attentifs, chaque geste,jusqu’à ce que tu viennes t’asseoir parmi nous.
Et là, le temps s’est suspendu.
On a refait ensemble, mille fois,
la trajectoire de Lalue à la rue du Centre, comme si nos pas y murmuraient encore leurs souvenirs.
L’Auberge de Port-au-Prince, là où tu vivais, était notre fief inutile d’en dire plus : tout y demeure.
Cher Mesmin,
on se parlait si souvent,
avec tant de naturel,
que l’idée même d’une absence semblait improbable. Et pourtant, voilà plus de trente ans que nos yeux ne s’étaient pas croisés.
Tu etais bonté rare, d’une fidélité sans détour et surtout d’ine amitié à hauteur d’homme.
Et maintenant…
tu me laisses sans voix, frère.
Incroyable !
Yves Lafortune.