Par Reynoldson Mompoint
Port-au-Prince, le 16 juin 2025
Deux cent quatre-vingt-trois millions de dollars. Voilà le montant que la Banque Interaméricaine de Développement (BID) vient de larguer sur un État haïtien désincarné, dysfonctionnel, et dirigé par une administration collégiale qui s’apparente plus à une table de négociation mafieuse qu’à une instance de gouvernance. Ce n’est pas un soutien. Ce n’est pas un appui. Ce n’est pas un espoir. C’est un choux gras bien dodu, bien arrosé pour un gouvernement de facto qui n’a ni légitimité politique, ni volonté de réforme, ni respect pour la misère qui gangrène le pays.
La BID a annoncé, dans son langage feutré d’experts, que ces fonds serviront à « renforcer les capacités institutionnelles », à « relancer l’économie », à « soutenir les services de base »… Bref, une formule diplomatique pour dire : on arrose pour éviter l’embrasement. Car tout le monde sait que ces 283 millions ne changeront ni la gouvernance, ni la sécurité, ni la vie des citoyens de Grand-Ravine, Martissant, ou Belladère. Tout le monde sait que ces millions finiront siphonnés, fractionnés, dilués dans les tuyaux de la corruption d’État, pour engraisser les parrains d’un système clientéliste.
Et ce n’est pas un gouvernement, c’est un ramassis de survivants politiques, nommés sans urnes, sans mandat, sans peuple. Ils gèrent les urgences du jour, font semblant de planifier l’avenir, pendant qu’en coulisse se joue la véritable pièce : comment se partager les miettes d’un gâteau financé par l’étranger
Depuis 1986, Haïti a reçu des milliards en dons, en aides, en appuis multilatéraux. Et pourtant, la pauvreté est plus crasseuse, la violence plus endémique, l’éducation plus bancale. Pourquoi ? Parce que les élites administratives qu’elles soient nommées, imposées ou recyclées, ont transformé l’aide internationale en business model. Les ONG pilotent les projets, les consultants étrangers ponctionnent les budgets, les fonctionnaires locaux multiplient les faux frais, les ministres de pacotille se font construire des résidences sécurisées, pendant que l’État lui-même s’effondre sous leur indifférence.
Alors ce don de 283 millions, c’est une occasion en or pour relancer le cycle infernal des séminaires, des audits fantômes, des programmes « pilotes » sans destination. C’est la manne parfaite pour récompenser les alliés politiques, acheter la loyauté temporaire des groupes armés, ou financer quelques voyages « de travail » à l’étranger.
La question est grave. À force de financer un État corrompu, illégitime et inefficace, la BID devient-elle un acteur de développement ou une béquille de la décadence ? Dans une logique coloniale inversée, elle donne sans exiger de transformation, injecte sans réformer, soutient sans questionner. À qui profite ce don ? Certainement pas à la majorité silencieuse des Haïtiens qui vivent sans eau, sans soins, sans routes, sans avenir.
Le peuple n’a même pas été consulté. Aucun débat public. Aucune transparence sur les allocations. Aucun mécanisme indépendant pour surveiller l’exécution. Juste un communiqué, quelques photos officielles, des signatures en cravate, et une promesse vague d’« appui budgétaire ». Une fois de plus, on gère le pays comme un projet, sans les citoyens, mais avec leurs dettes.
Le gouvernement de facto le sait : son pouvoir ne repose ni sur la Constitution, ni sur l’adhésion populaire, mais sur la perfusion internationale. Chaque million reçu est une rallonge de vie. Chaque don, un silence acheté. Alors il se garde bien de réformer. Il gère la crise, mais ne la résout jamais. Il gère la pauvreté, mais ne la combat pas. Il gère les gangs, mais ne les désarme pas. Parce que tant que le chaos dure, l’aide coule. Et tant que l’aide coule, les vautours tournent.
Un jour, il faudra faire le bilan de ces 283 millions. Il faudra retrouver les projets morts-nés, les factures tripotées, les contrats surfacturés. Il faudra nommer les gestionnaires de la débâcle, qu’ils soient ministres temporaires, directeurs généraux invisibles ou experts internationaux en série. Parce que ce n’est pas seulement de l’argent qu’on vole au peuple, c’est son avenir, sa dignité, sa capacité à rêver autre chose qu’une fuite vers l’extérieur.
Le don de la BID, c’est la vache à traire d’un État zombie, administré par des fossoyeurs qui s’improvisent gestionnaires de crise. Pendant que le pays saigne, ils se servent. Et pendant qu’ils se servent, le peuple enterre ses enfants.
Reynoldson Mompoint