Corruption, chômage et désespoir : la triple peine des diplômés en Haïti
La saison des remises de diplômes bat son plein. Aux États-Unis, au Canada, en Europe, ces cérémonies célèbrent la fin d’un cycle et l’ouverture vers des opportunités concrètes : premiers emplois, stages professionnels, études supérieures. Les photos de toges et de casquettes lancées dans les airs circulent sur les réseaux sociaux comme autant de symboles d’espoir. En Haïti aussi, les jeunes montent sur scène pour recevoir leur parchemin, souvent dans des salles décorées à la hâte, parfois dans l’émotion des parents ayant consenti d’immenses sacrifices. Mais au lendemain des festivités, un gouffre s’ouvre : celui d’un avenir sans promesse.
Terminer ses études en Haïti relève déjà d’un acte de résistance. Le parcours est jalonné d’obstacles : écoles en ruine, grèves prolongées, professeurs sous-payés, examens reportés. Et quand, malgré tout, le bac est en poche, une autre bataille commence : trouver une place dans une université publique saturée, ou payer des frais exorbitants dans le privé, sans garantie de qualité. L’enseignement supérieur est devenu un luxe, et son contenu, souvent déconnecté des réalités économiques, prépare peu à l’insertion.
La vraie panne, c’est celle de l’emploi. Diplôme en main, les jeunes découvrent un marché du travail atrophié. L’État reste le principal employeur, mais ses recrutements obéissent à des logiques opaques, faites de clientélisme, de piston et d’alliances partisanes. La corruption devient une filière parallèle de survie. Quant au secteur privé, il est en lambeaux. Les entrepreneurs, loin de créer des emplois, se positionnent majoritairement comme prestataires de l’État, à la recherche de contrats publics faciles. L’esprit d’entreprise cède la place à la dépendance. Aucun écosystème ne permet l’absorption des compétences.
A qui profite l’éducation, alors ? Dans cette équation faussée, la jeunesse haïtienne se retrouve piégée. Les plus talentueux s’expatrient ; les plus précaires survivent dans l’informalité ; d’autres glissent vers le découragement ou l’exploitation. Étudier, dans ce contexte, n’est plus un levier d’ascension sociale. L’école, autrefois perçue comme sanctuaire républicain, s’est vidée de son autorité. Des décennies de politiques erratiques, de réformes inachevées, et de gestions partisanes — dont le passage de figures comme Nesmy Manigat reste un cas d’école — ont désarticulé ce qui tenait encore debout.
Faut-il encore célébrer les cérémonies de graduation ? Oui, mais avec lucidité. Ces moments de joie ne doivent pas masquer la faillite d’un système. Il faut reconstruire une éducation qui débouche sur l’émancipation, une économie capable d’absorber les diplômés, et un État qui recrute au mérite. Autrement, chaque diplôme remis ne sera qu’un symbole amer : celui d’une intelligence abandonnée, dans un pays où la réussite reste orpheline d’horizon.
cba
