22 novembre 2025
2037: Le Premier Jour ~~~ Théâtre
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2037: Le Premier Jour ~~~ Théâtre

Liminaire

« Ici, la vie d’un des nôtres vaut moins qu’une balle. La vie des nôtres vaut moins qu’ un pets !  La vie des nôtres a moins de valeur, d’importance qu’ un chien ».

L’abstract 

L’île, à la fin de la troisième décennie de l’ année 2000, est rentrée définitivement dans le cycle de la désolation, de la violence, du kidnapping, du grand banditisme amorcée depuis la chute de Duvalier Fils (1986).  La région métropolitaine de Port-au-Prince -mise sous coupe réglée- est soumise à la loi du puissant chef de gang, THE BLOOD. Les corps armés, défaits. La cité des riches brûle. Corps démembrés, volutes de fumées, grasses des expéditions punitives.  À défaut de l’eau des pluies, le sang coule dans les caniveaux et les égouts de la ville.  Chaque quartier de la ville répond de l’obéissance à un truand, lequel a droit de vie et de mort sur tous – les humains et les animaux. Une mère pleure son fils lâchement assassiné. The Blood fait la leçon à un certain homme, ministre. Des vox / voix solitaires se succèdent comme dans une litanie de plaintes obscures. Chute des croyances et des certitudes. La ville et l’île s’enfoncent dans la nuit féroce, riche de violences. 2037 : « La ville est à terre » , La nuit règne sur l’île, l’État n’est plus.

LES VOIX ET PERSONNAGES SUR SCÈNE

L’abstract

*Voix 1 ( Le récitant/ un homme)

-Une mère orpheline

*Voix 2 ( Le récitant / une femme)

Chant

*Voix 3 ( Le récitant)

avec trois modulations différentes

– Gangster 1

– Gangster 2

– Gangster 3

*Voix 4 ( Le récitant / une femme)

Chant

-The Blood 

°Vox Solitaire 1

°Vox Solitaire 2

°Vox Solitaire 3

°Vox Solitaire 4

°Vox Solitaire 5

Rideau

La Scène

( Atmosphère nocturne, des voix étouffées râlent, des rafales d’armes, soudain l’orage se mêle, fine pluie)

Voix 1

Ce n’était plus la guerre, ce n’était plus la peste, pas plus cette pandémie, lançant sa tranchante faucille dans les rues de la ville, et fait sa pleine moisson d’âmes. Ce n’était plus le jour. Le jour pas plus amer. Tel un orage soudain sous le ciel de la ville, ainsi bruissait le tonnerre, éclatait le Premier Jour . Le temps coulait tel un fleuve insipide, et les secondes blêmes suivirent leur cours. Nues. Blafardes. Ternes. Interrogèrent-elles dans la fuite, l’urgence d’arrêter le temps. ? Mais le temps ne valut plus rien. 

Le ciel grisâtre sur la ville. Un ciel trop ficelé,  brodé de nuages aux humeurs chagrines. Au milieu, des rues traversées de larges entailles, la ville, et ce qui lui restait pour être un lieu de vie, coulait sous d’interminables montagnes de détritus. Des carcasses de voitures calcinées, véritables ossements de fer, gisaient à maints carrefours. Les rues ne gardaient plus leur souffle dans la désolation. La vraie vie mourait dans l’absence et avait fui. Dans les maisons, aux fenêtres éventrées, et aux portes arrachées dans le désastre, sortaient quelques volutes du pillage encore frais de la dernière incendie. 

( Sur la scène, un léger éclairage de teinte grise illumine faiblement l’ espace)

(Au loin, des rafales d’armes automatiques peuplent les environs, bruitage ! )

(Silence)

( Les rafales reprennent, bruitage ou voix imitant les cris sourds ou secs des détonations)

(Silence à nouveau)

( Des cris lugubres montent dans les rues d’alentours)

 Grrrr…. Grrrrr…. Grrrr…. Grrrr

Grrrr…. Grrrr …. Grrrr…. Grrrr

MÈRE ORPPHELINE ( la ceinture nouée d’ une corde)

 – Woyy !  Ah ! ( Elle avance, courbée sous le chap lourd de la douleur qui la démange, les mains nouées sur la tête). Ils ont brisé mon avenir, ils ont tué mon fils, mon unique,  » tèt sèkèy mwen » !  Ah  !   Qu’est- ce qu’il les avait fait, pour lui donner une mort atroce !  Ils l’ ont tranché la gorge !  L’un d’eux a affirmé qu’ils lui feront pas cette honneur, de lui coller une balle. Ce serait lui faire trop d’ honneur !  Vous devez plutôt, au contraire m’ abréger…. Moi, moi, cette vieille dont la vie ne veut plus. Au lieu d’ attenter à la vie de mon petit !  Ah  !  Qu’est- ce qu’ il vous a cherché pour lui faire ce sort atroce ! ( Le visage perlée de gouttes, la voix enrouée par la douleur)  Ah !  Qu’est- ce qu’il vous a cherché ?    Parce qu’il vous a répondu  :  Non ! Un de ces Non que vous n’avez jamais voulu entendre ! Puisque vous croyez être, sous ce bout de ciel accroché sur nos têtes, Seigneurs et maîtres de ce souffle qui retient encore ici dans ce bas-monde !  Non !  Mon petit méritait pas cette mort !  Ah !  Non ! ( Elle relève un peu la tête, les yeux écarquillés, prêts à tomber de leurs orbitres). Parce qu’il ne voulait point intégrer votre bande !  Ah !  La douleur me fend, me scie, m’ emporte… Vous l’avez proclamé  »  éclaireur de la police », « toutè » pour faire plus court !  Tous, vous savez que ce n’est pas vrai. Vous n’ avez point connu mon p’tit pour lui coller cette rumeur d’éclaireur. Non !  Non !  Vous ne l’ avez point connu !  Non  ! Non !  Non !  Mon p’tit !  Pourquoi, mains cruelles, vous l’ avez arraché à mon affection  !  L’on ne me dira pas malgré vos cœurs noircis à l’ encre forte, malgré vos regards rouges de crimes qu’ une femme ne vous a – t- elle nourris de sa serve blanche, de son amour, de son lait maternel ?  Cruelles  !  Formes amères  !  Mains sanglantes ! Non ! Non ! ( Elle s’affaisse sur le sol)

( Lumière sombre sur la scène)

Voix 2

Là-bas, crépitent des braises consumant la dernière goutte d’espérance de l’enfance ici. Ce n’était plus la guerre, ce n’était plus la peste, ce n’était plus la haine. Mais le concert ininterrompu des armes qui déchirent le silence quelque part dans la ville. À Cité Poubelle ou au Village Du Peuple Abandonné! L’espérance avait fui.

( Silence !  Une voix dans une arrière- cours déserte laisse éclater ce chant du patrimoine vaudou)

« Èzili wo 

Achade lwa mwen

Danbala wèdo 

Sa rèd o 

M pa manje zannana 

M pa fimen sigarèt 

M pa manje kokoye 

Kouman lajan m fè manke (bis) « [1]

( La voix 2 poursuit le récit d’ une voix intérieure)

2037

Ici, 2037. Ne croyez pas, c’est demain en quelques endroits de la ville. Aujourd’hui. C’est peut-être aujourd’hui. La cité des riches dispute le palme de la mort et de l’abandon à Delmas et Port-au-Prince. Des corps inertes putréfient. La mort ne compte alors plus d’âge. Elle moissonne et emporte tout dans sa folie. Ici, des âmes fauchées sous les coups dorés de la mitraille. Là, des corps calcinés! Croyez pas qu’il s’agît des victimes d’un affaissement du sol ou de Goudougoudou ! Vrai, la ville dort sous les failles. Et se faire mettre dessus- dessous, ça ne lui prendrait pas une filante minute. Ce n’était plus la guerre, ce n’était plus la peste, ce n’était plus la haine. Ici, deux mille trente-sept! Dans quinze ans ou dix-sept ans ce ne sera plus une folie.

( Court silence !  Le récit se poursuit)

Des gens se terrent. Les égouts étaient devenus des lieux de vie. Se cacher contre la colère qui gronde et sourd le monde. Les hommes disputaient chaque mètre carré aux rats, véritables rois des poubelles et des égouts dans cette république en manque, à l’abandon depuis des décennies.

Ce récit, la ville ne le ferait que d’elle-même. En fait, c’est vers l’issue qu’elle court et porte ses pas pour s’éclore nue dans la débâcle. Ce récit aux douleurs verticales, aux accents noirs des lendemains, elle le racontera à elle-même! An deux mille trente-sept, si la vie est absente, la faute bien à certains.

Voix 3

( Dehors des crépitements des rafales et des cris salaces de chefs de gang)

GANGSTER 1 ( voix rauque) – On crèvera le cul de ces fils de rien, ces fils de merde…

GANGSTER 2 ( voix efféminée) – Moi, je boirai mon thé de marijuana dans le crâne de ce foutu Tèt Zo…

GANGSTER 3 ( voix puéril) – Je compte bien péter ce Babilòn- là, je l’ai à l’ œil depuis trois mois pleins !  C’est à ce prix que Le Général The Blood me fera monter en grade… Plow !  Plow !  Plow !  Aranje w culs de chien, Aranje w, Babilòn, aranje w, piti…. [2]

(  Une rafale part)

GANGSTER 3 – J’ l’ai touché, le salaud !  M pran kk a. M pran kk a…

( Encore des rafales et des cris démentiels de la troupe assassine explosent pour finir par s’ effacer à mesure que la troupe mafieuse s’ éloigne)

Chant

« Moris dezo 

Pran sa pou prensip o

Pa bwote dlo pa kiyè 

Pou plen kanari mwen (bis) 

Mwen gen chen mwen 

Mwen ka rele l defye 

Abobo 

Mwen genyen lòt la 

Mwen ka rele l 

Pa fè twòp 

Si l manje vlen vwazinaj 

Pale m map peye 

Nèg mande wè 

Se kou yo wè ya kwè 

Nèg mande wè ( bis) adye » [3]

Voix 4

The Blood 

Il règne depuis deux ans sur la cité. À cette époque, son territoire était une dizaine de kilomètres. Au gré des combats, The Blood a fini par mettre en débandade, en déroute les petits chefs qui grondent sans résultat dans les cabinets cossus. Défaits les corps armés. Le seigneur de guerre a considérablement agrandi son territoire. Il avait distribué chaque quartier de la ville à l’un de ses sous-lieutenants. The Blood inspira la crainte même aux fous, aux faméliques du voisinage. Il était cruel, cela demeurerait une atténuation, un euphémisme au moindre coût dans le tableau brossé de son caractère.

 Dans les caniveaux ne ruisselle plus l’or bleu des fontaines. Des flaques de liquide douteux s’apparentant au sang couvraient les plaies routières et filaient en mince filet dans les canalisations. Des colonnes de mouches bourdonnent au-dessus de cette chorale de sang. Ce n’était plus la guerre, ce n’était plus la peste, ce n’était plus la haine. Deux mille trente-sept aux portes, et cela paraît lointain mais à quelques heures d’ici.

Le temps mis au garage. Cassée est son horloge. La vie n’avait plus cours. Débordés, les lieux sanitaires. Les hôpitaux et centres de soins avaient baissé pavillon. Idem pour les funéraires. La ville brûlait. La ville brûlait des montagnes de cadavres à chaque coin des rues. Chaque carrefour ressembla à un immense four crématoire à ciel ouvert où monte les parfums et la fumée d’un holocauste sans fin.

( Chez le chef de gang The Blood)

( Une partie de la scène, un fond de couleur rouge sanglant occupe une partie de la salle. Une lumière de même couleur tamise le sol et éclaire le personnage The Blood)

( Il est assis un cigare éteint au coin de la bouche, les pieds enfoncés dans une paire de baskets déposés sur une table noire. Il écoute du hip hop et il se croit être né gangster et artiste.)

(Il agite la tête de tous les côtés. Au téléphone à un ministre du gouvernement, il déclare  :  c’est du social, qu’ il réalise ou donne le la dans son fief et les environs )

 THE BLOOD ( l’ air détendu) – Ministre, mon cher. Les derniers billets de banque… Tu m’avais dit que c’était 10 millions. 

Il ne me reste pas 200000 dollars. Tu dois nous envoyer ce week-end, quelques malles bien rondes. À défaut, mes hommes se donneront du boulot dans les rues. Tu sais bien que le pouvoir est à notre portée. C’est un peu de vacances que je donne au gouvernement. Un peu de vacances !  Tu dois savoir mieux de quoi je parle. Pas trop de temps de parler. Tu es un homme je ne peux pas fendre ton cul, te faire l’amour. Si tu le veux bien, je peux bien te cuire dans ma rage, Enculé !  J’ai plein de femmes à caresser. Elles m’ attendent déjà trop longtemps !  Une baille ça fait. Allô, n’ oublie pas d’appeler cet homme de La Cité des Riches. Dis-lui de nous envoyer les dix caisses de munitions et les AR 15 et les Kalash fraîchement arrivés de la Frontière de Jimani. Casse-toi, con ! Enculé !  Chien !  

( The Blood raccroche au nez de l’homme et laisse la chambre en laissant courir ses doigts dans la marrée cirée de sa chevelure)

( La salle est tamisée d’ une lumière terne, blafarde, grise, des morceaux de journaux déchirés jonchent le sol, d’ autres morceaux et de portraits de stars sont accolés aux murs, une table, une chaise renversée)

Voix 4 

La cité des riches

Des grosses cylindrées renversées. Des vêtements ensanglantés et déchirés. Le monde raffiné des collines sud de Port-au-Prince coule sous les braises et mord de la poussière. Carnage à ciel ouvert, la cité des riches était tantôt devenue un havre de peurs. Les grosses bâtisses protégées de hautes murailles et balisées de caméra high-tech ou de reconnaissance faciale, mises à sac devinrent des lieux déserts. Ici, une aile de la maison à la fumée qui rit, là, des bouts de chairs sanglants: une tête, un soleil à l’envers; une paume luisante décorée d’une dizaine de bagues… Elle gisait à terre, la cité des riches comme la majeure partie de la ville.

Jalousie consumait tel un volcan rejetant ses larves rousses à travers la colline. Des corps, on n’en comptait ni le nombre, le sexe ou la religion. La seule vérité! Une certitude, ils étaient des hommes dont les apparences masquaient l’égalité. Des êtres de chair et sang, ce qui unit l’homme au-delà des océans, des teints et la diversité culturelle et des opinions. Deux mille trente-sept, c’est peut-être dans quelques milliards de secondes. Mais, déjà demain aux portes!

Vox Solitaire 1

( sur scène)

Je vois le temps cueillir des fruits qui n’ont pas eu la chance de mûrir. Et le jour, se vêtir des couleurs de l’abîme. Le temps, se noircir en dépit de l’évidence de la clarté du jour que cache mal la chevelure noirâtre enveloppée de volutes de cendres, de la fumée qui monte de la ville. Des vastes bouquets de feux qui embrasent de toute la ville. Je vois les armes dans un crépitement inlassable casser la pipe de la vie. À terre, écoliers, madan sara, étudiants, religieux de diverses chapelles, femmes et hommes, bébés, adultes et vieux, cireurs de chaussures… Des rêves fauchés dans cette envie d’habiter cette marâtre qu’est la vie. Ici, le chant qui monte du jour c’était les éclats, le sourire bruyant et assourdissant des rafales. Des corps qui nagent dans la mort, abandonnés aux chiens, à la sainte dérive des porcs ! En dévorant la chair putride mal calcinée, les porcs et les corbeaux offrent aux morts une possible sépulture.

Vox Solitaire 2

( sur scène)

Tu ne diras pas que tu n’ as pas vu les saisons mourir sur la ville. La ville aujourd’hui si orpheline de ses arbres. On dirait bien le réchauffement du climat est passé par là. Mais cette saison dont je parle c’était la saison de la paix, la saison où les hommes ont été tous tenus pour frères. Bonjour cousin à l’ un, bonjour Tonton à l’autre. Une saison qui a fui. Larguées toutes les amarres. Souvent, Je revois en moi s’écouler le pays comme ce filet de sable, ce chapelet de miséréré de tous les manquements, de tous les dénis, de toutes les déraisons. Ce pays au sang pompé, sucé par les vautours d’ici et des prétendus pays amis. Puisque l’ amitié peut en cacher une autre. Tu diras pas que tu n’ as pas vu les morts fleurir dans nos rues tels des bouquets de la Toussaint accrochés à nos portes. Ici, la Mort depuis longtemps a élu domicile. La Mort est devenue ici un jeu que jouent les gens, petits et grands, femmes, hommes, pauvres, riches, analphabètes et diplômés sur ce tiers d’île au plein cœur des Amériques. La Mort ici est devenue- et ce n’est point un euphémisme- un fait divers. Comme ce footballeur qui a été traîné derrière les Tribunaux pour avoir maltraité son chat. Là-bas, Si un chat, un chien, une souris valle autant qu’ un citoyen. Ici, la vie d’un des nôtres vaut moins qu’une balle. La vie des nôtres vaut moins qu’ un pets !  La vie des nôtres a moins de valeur, d’importance qu’ un chien. D’ ailleurs, ici des sépultures aux nôtres fauchés dans les rues, ce sont les chiens, les porcs, par curieuse procuration, qui en donnent ou en accordent. En savourant la chair des victimes, sans honte, les chiens haïtiens enterrent d’ une autre manière les victimes de la guerre des gangs. Tu diras pas que tu n’ as pas vu la honte montée en grade ici toute honte bue. La Honte, elle a pris des gallons. Pas besoin d’ une paire de lunettes, pour voir la vérité crever. La vérité est une rebelle jamais met-elle bas les armes ? Prendre langue au blanc, un pic aux côtés du maître et le tour est joué. 

( Un air cynique) Kimele Bouda m, depi blan di m chèf. Se yo m fout dwe rann kont wi. Le peuple, mon cul. 

( Doigt d’honneur) Je n’ai que faire du peuple. Je n’ai de compte à rendre qu’ à mon maitre, au maître du jeu ici, Le blanc ! Viv Papa, le Blanc, mon boss !  Je loue l’ ignorance proverbiale du peuple. Quelque part dans les Amériques, on nous fourra bien , nous, les potes du Gouvernement, un bon pied dans le cul. Oui, le peuple !  Mais ici, en raison de l’ignorance, nous sommes là pour bien au moins deux siècles. Sauf si les bandes coalisées, elles parviennent s’ entendent nous botteront hors du jeu. Mais nous pourrons bien les gérer à coups de millions et de munitions et de cargaisons d’armes. Elles en aiment bien les bandes. Et le tour est joué ! Bingo ! 

Vox solitaire 3

( sur scène)

Dantor que ferons- nous pour arrêter, rompre le cycle de la mort. La mort, cette grande qui a élu domicile ici. Domicile fixe, dire qu’ ici est devenu depuis sa maison. Elle galère à merveille, comme un charme, la vieille, ici.

( Lecture d’un étrange reçu)

 » Je, Soussignée, Madame Commère La Mort, identifiée au numéro d’identité fiscale ( NIF), 1, 2, 5, 10, 100, 200 et … 300 massacres, demeurant et domiciliée sur le tiers de l’île d’Haïti, rue du Sang et des martyrs, travaille à plein temps ici dans le commerce »…

« Ah !  Ah !  Ah ! « 

 Que dirons- nous à l’ égard de ces choses comme le chante  l’évangile ?  On a beau sacrifié aux esprits, aux loas, aux esprits ancestraux !  Dire qu’ils ne nous écoutent pas ? Écoutent-ils mieux la voix de ces malfrats ! Plaintives créatures de sac et de cordes. Oui, ils écoutent la voix des malfrats puisqu’ils leurs attribuent des vertus magiques, des points chauds qui les rendent insensible aux balles.  » Yo pa pèse ». En vérité, ils ont dû choisir leur camp, les loas !  Ils ont fait le seul choix possible pour eux. Qu’ils sont injustes  ! Jamais, ils ne casseront le cou de ces larbins et de leurs comparses. Le vrai pot, c’ est le peuple qui le paie. Le peuple le paie de sa vie, de son sang, de son souffle. Pourtant, nous ne sommes point les coupables. 

( geste de l’ index en direction du public) Voyez pas que la mort a planté son étendard ici. Elle devait être heureuse qu’ elle moissonne avec cette force, la Mort. Toujours chez nous dans le camp du peuple. Jamais de chez les riches et les politiques qui entretiennent le commerce de la mort. À coup de millions. ( geste imaginaire montrant le personnage entrain de compter une somme). 

( Le personnage se lève et braque des deux bras pour former une arme automatique) .D’ armes automatiques qui vomissent le feu sur le peuple et la ville. De séquestration. La séquestration, on prend langue avec depuis après l’indépendance. Séquestration !  Rançon !  Aujourd’hui, la rançon, on la paie de notre vie. De notre vie, interdite de printemps !  ( Silence) Les loas changeront- ils finalement de bord pour faire naître un brin vert d’ espérance !  Rendre impuissante la nuit. La nuit qui a pris trop de place ici. 2037, portera en elle que la nuit sans clore cette liberté dont a pris la nuit sur nous  ! 

( Salle obscure, des rafales d’armes déchirent la nuit ;  une lumière balise lentement le fond ;  cris des blessés et des gens qui trépassent ;  l’ une après l’autre, les rafales s’espacent et finalement cessent)

Vox solitaire 4

( sur scène)

Qui crie ici c’est la fin du monde !  Ce berger qui radote et prête à absoudre ces hommes aux mille morts sur les bras. Il demeure injuste celui qui peut comme bon lui semble tuer, envoyer six pieds sous terre des innocents et le jour suivant trouve un con des assemblées évangéliques pour le blanchir comme la carbonate de calcium de nos carrières, pour faire plus court le rendre pur comme la neige. Non !  Tu viendras pas me l’apprendre. C’est bien ouvrir la boîte des surprises !  On peut alors se couvrir de tous les crimes du monde et la seconde après être un foutu disciple du Christ. Et le tour est joué !  Non, c’est prendre les pauvres hommes que nous sommes ici pour des salauds, des canards sauvages que l’on ne chasse à volonté, comme l’eut dit La Fontaine «  Ce sont là jeux de princes ». Ah !  Ah !  Le « game » serait trop facile ! 

Dèy o 

N ap rele dèy o

Ayiti o

Dèy o

N ap rele dèy o

Ayiti o

Dèy o

N ap rele dèy o

Ayiti o

O dèy o 

N ap rele dèy o

Ayiti o

Qui crie ici c’est la fin du monde ! Quoiqu’il en coûte, ce monde cassera au final ses dents, cassera sa pipe ! L’on ne me chantera pas que Godot sifflera la fin de la partie que la Révélation fait remonter à 6000 années et pic, ici. Si c’en est bien le cas, Godot, il en existe mille. Un pour les riches, un autre pour les pauvres. La hauteur des crimes ici ne surpassent guère ceux qu’ont commis les «  dits civilisés » qui, du matin au soir, font la leçon à tous. Non, pas à tous, ravisons !  Mais aux peuples du sud. Eux, qui croient qu’ils ont droit de vie ou de mort sur les « dégénérés » du sud ! Si le mec du Ciel pointera le nez, il le fera sans doute chez les «  dits civilisés » ou il pointera chez tous, sans distinction aucune, dans un parfait souci d’égalité !  Et la blague serait plus vraie ! 

Est-ce la plaie des armes qui foutrera le bazar de la fin ici ? Je pars en vendetta contre tous qui, à longueur de journée, cherche le coupable en tout. Est- ce moi, ( le personnage pointe l’index en direction de lui, ensuite en direction du public ) ou toi qui achète les cargaisons d’armes et de cartouches dans les grands stores de l’Amérique ? 

 ( Il pointe l’index sur lui puis sur le public) Vous direz pas que c’est toi ou moi qui les mettez sur les bateaux à destination des ports d’Haïti ?  Dites pas, que ce sont les malheureux de nos pauvres cités qui crèvent à moins d’un dollar US ou qui brassent du vent, du vide qui ont payé rubis sur ongles les cargaisons de la mort qui viennent les chercher jusque dans les chambrettes de leurs bicoques, sous la table ou sous le lit pour les envoyer six pieds sur terre. Allahou Akbar, dites pas que nos chers amis de l’international, ils n’ont pas vu ces frais outils de la mort laisser leurs côtes et leur ports ? Le syndrome de Ponce Pilate tourne à la ronde, à plein rendement. Dites pas, même si je passerai pour le dernier con, que les AR-15, les kalashnikov, les galils, les M-one, les M-50 sont tombés par eux-mêmes du ciel ? Nul coupable, ici !  sauf le peuple que la mitraille fauche, cueille une fleur pourpre à la tête ou sur le thorax !  

Vox Solitaire 5

(Sur scène)

Mais ils gagnent facilement de territoires !  Hier, c’était La Petite Rivière de l’Artibonite, Le Village, Martissant. Pas à pas est verrouillée la ville. Aujourd’hui, la Plaine, Canaan, Gros Morne, Bassin Bleu !  Demain, peut-être, toute la ville !  On marche bien sur la route depuis quelques bonnes décades. Et le cycle ne se casse pas. Demain, sans doute tout le tiers d’île !  Le Nord, le Sud et le Plateau ! La vie d’ici répondra par les caprices d’un truand, The Blood ou de l’un de ses comparses ! Un Polichinelle !  

Voici la ville et l’île mise sous coupe réglée !  Les rues désertes !  Les entrées et sorties sont réglementées selon l’humeur du chef gang, véritable potentat ! Les collectes de fonds se font à tous les coins de rues. Dans les canaux coulent une rivière pourpre, riche de tous les massacres, de toutes les expéditions punitives contre les dernières poches de résistance !  Des corps et des bouts de membres hachés jonchent les rues !  Des épais nuages de fumée noient l’atmosphère sous la ville. On ne voyait plus le bleu rassurant et reposant brodé de filets de bisons blancs. Le soleil renvoyait une lueur terne et blême. Des chiens, des porcs et des rats se disputent les derniers restes humains ! 

 Des crépitements lourds de rafales trouent le jour !  La nuit !  La mort, la désolation, la peur, le doute, la résignation croquent la vie à pleine dent ! Chaque tentative de révolte des gens des quartiers pour couper souffle, casser l’élan assassin du chef de gang, étouffée et noyée dans une marre visqueuse de vin roux, de sang. Et ce jour noir montait aux portes de la ville. Deux mille trente-sept sabrait de toute part la vie, la ville ! 

( Des cris de détresse et des tonnerres de rafales résonnent, encore des cris. La scène encore grise sombre, dans le noir et l’obscurité)

(Rideau)

James Stanley Jean-Simon

Auteur 

13 juillet 2022

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