Du référendum interdit à l’acte inconstitutionnel : chronologie d’une illusion politique
Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 29 mars 1987, le constituant originaire a expressément proscrit le recours à la procédure référendaire pour toute révision constitutionnelle. L’article 284.3 dispose sans ambiguïté : « Toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite. » Ce verrou constitutionnel représente une clause d’intangibilité, destinée à prémunir le texte fondamental contre des altérations issues d’un acte plébiscitaire potentiellement manipulé par l’exécutif ou des forces politiques dominantes.
Or, certains acteurs institutionnels, à l’instar d’Alix Didier Fils-Aimé — figure marginale jusqu’en novembre 2024 du champ politique, dont la seule visibilité remonte à une candidature sénatoriale infructueuse en 2016 —, persistent à mobiliser la rhétorique référendaire comme issue prétendue à la crise constitutionnelle actuelle, en invoquant des impératifs d’efficacité ou une quête de légitimation populaire. Une telle démarche, juridiquement irrecevable, trahit une méconnaissance manifeste du cadre normatif en vigueur et constitue une instrumentalisation discutable des mécanismes de la souveraineté populaire.
À supposer, ad argumentandum, que le référendum constitutionnel soit autorisé — ce qu’il n’est pas —, une temporalité procédurale incompressible s’imposerait. Dès lors que l’on envisage la mise en circulation d’un avant-projet de Constitution au 18 mai 2025, un échéancier rigoureux devrait être respecté pour garantir la régularité du processus :
- Phase de publicité et de diffusion normative du projet, assortie de traductions officielles (français et créole), conformément au principe de transparence administrative : délai estimé à 90 jours.
- Période de consultation citoyenne et institutionnelle, impliquant des débats contradictoires, des forums publics, et des avis d’organes consultatifs (Université d’État, barreaux, associations de magistrats, etc.) : prévoir 180 jours.
- Réécriture et validation institutionnelle du texte, sur la base des contributions recueillies, assortie d’un avis technique éventuel d’experts en droit constitutionnel : 60 jours supplémentaires.
- Préparation logistique et organisationnelle du scrutin référendaire, sous l’égide d’un organe électoral indépendant, avec garantie d’une chaîne de légalité dans le processus électoral : 120 à 150 jours requis.
- Organisation du scrutin, proclamation des résultats et entrée en vigueur différée, suivant un calendrier conforme aux principes de la sécurité juridique : prévoir 60 jours additionnels.
Dans un scénario idéal, la durée cumulative du processus référendaire s’élèverait à environ 18 mois, en partant du 18 mai 2025. Ce calendrier, déjà exigeant, suppose un contexte institutionnel stable, une infrastructure électorale fonctionnelle, une société civile mobilisée, et un respect strict de la neutralité administrative.
Or, cette construction hypothétique entre en contradiction avec le bloc de constitutionnalité. En persistant à envisager une procédure référendaire, les autorités porteraient atteinte au principe de suprématie constitutionnelle et s’exposeraient à une voie de fait institutionnelle. La tentative de réformer la Constitution par référendum serait assimilable à un acte inconstitutionnel manifeste, inopposable à l’ordre juridique national.
En définitive, la question pertinente n’est pas de savoir « combien de temps » il faudrait pour organiser un référendum, mais combien de temps encore faudra-t-il à certains acteurs pour reconnaître que le référendum constitutionnel est juridiquement prohibé en Haïti. L’État de droit ne se négocie pas à la faveur des circonstances.
cba