En Haïti, le 18 mai n’est plus une fête : c’est un miroir brisé.
Ce jour qui fut jadis synonyme d’unité, de levée d’espérance sous un ciel difficile, est désormais traversé par le vent des simulacres. Le drapeau national ne flotte plus au sommet de la République ; il dérive, emporté par les courants d’une politique sans cap, au-dessus de territoires fragmentés, de mots désincarnés, de palais désertés et d’États sans État.
En mai 2023, Fritz Alphonse Jean, alors citoyen critique et figure d’opposition, dénonçait avec aplomb « le drapeau de la division » que n’avait pu hisser Ariel Henry — lui-même persona non grata à l’Arcahaie. Deux ans plus tard, ironie mordante de l’histoire immédiate, ce même Fritz Jean, désormais proclamé président d’un Conseil Présidentiel de Transition né ex nihilo, sans peuple, sans légitimité, sans texte, s’apprête à lever ce même drapeau dans un pays plus divisé encore qu’en 2023.
Quel drapeau, exactement, va-t-il hisser ? Celui d’un pouvoir qui ne gouverne pas, ou celui d’une fiction institutionnelle sans ancrage ni reconnaissance ? Le drapeau d’une nation qui n’a plus de centre, ni symbolique ni géographique ? Celui d’une autorité qui se prononce mais ne s’exerce pas ?
Le symbole est beau, certes. Mais peut-on hisser un drapeau là où il n’y a plus de mât ? Peut-on parler de République lorsque Port-au-Prince n’est plus que le fantôme d’une capitale et que le Cap-Haïtien n’est qu’un refuge provisoire pour les cérémonies de convenance ?
Dans ce théâtre où le rituel tient lieu de réalité et où la mise en scène supplante la substance, il nous a paru nécessaire — presque hygiénique — d’adresser à Monsieur Jean non pas une remontrance, mais un détour poétique. Une lettre en vers, à la croisée de l’ironie et du souvenir. Non une épître solennelle, encore moins une raillerie vaine, mais un exercice de lucidité dans un pays qui vacille entre la mémoire courte et le simulacre permanent. Car si la République semble avoir perdu sa voix, peut-être lui reste-t-il encore l’écho des mots justes.
Fritz, le Drapeau et le Fantôme
Fritz, cher Président sans fauteuil,
où serez-vous donc ce 18 mai ?
Arcahaie ? Trop risqué.
Port-au-Prince ? Il n’y a plus de mât.
Cap-Haïtien alors ? Un Cap sans cap.
Vous vous souvenez sans doute —
18 mai 2023, parole en main, verbe ferme :
Ariel, disiez-vous, avait hissé le drapeau de la division.
Mais vous, que hissez-vous aujourd’hui ?
Le drapeau de quoi ?
D’un gouvernement invisible ?
D’un pouvoir qui n’est ni en chair, ni en os,
ni même en virtuel ?
Quoique visible avec les braqueurs de la BNC
Le pays s’effrite,
le territoire se réduit à des confettis armés,
et vous, au milieu de ce carnaval tragique,
vous cherchez une place pour planter un symbole.
Mais un symbole sans sol est une farce.
Le drapeau ne flotte plus au Palais.
Il flotte sur WhatsApp, X, Facebook
Il flotte dans les discours,
sur les estrades provisoires,
et dans vos illusions administrées.
Fritz, ce dimanche, dites-nous :
vous irez où, vraiment ?
Dans la République ou dans la République de l’idée ?
Avec le peuple ou avec sa version PDF ?
Et si jamais vous hissez le drapeau,
dites-nous aussi :
au nom de quoi, et surtout,
au nom de qui ?