19 octobre 2025
Les chinois utilisent l’histoire fabuleuse de l’île de la Tortue pour vendre des produits dans le monde entier
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Les chinois utilisent l’histoire fabuleuse de l’île de la Tortue pour vendre des produits dans le monde entier

Les Chinois monétisent la légende de l’Île de la Tortue pendant qu’Haïti reste à quai

par Elensky Fragelus

L’histoire fascinante de l’Île de la Tortue, ce repaire mythique de pirates au cœur de la mer des Caraïbes, inspire depuis longtemps l’imaginaire collectif. Hollywood s’en est emparé avec faste, engrangeant des centaines de millions de dollars grâce à des franchises cinématographiques comme Pirates des Caraïbes. Pourtant, alors que ce patrimoine historique pourrait devenir un moteur économique pour Haïti, ce sont des entrepreneurs chinois qui en récoltent aujourd’hui les fruits… à l’autre bout du monde.

Sur la plateforme de commerce électronique chinoise Temu, en plein essor mondial, une série de maquettes de bateaux pirates baptisés Tortuga Ships est proposée à la vente. Ces modèles, certains à assembler soi-même, reprennent l’esthétique romantisée des navires légendaires associés à la piraterie du XVIIe siècle. Les produits séduisent les consommateurs internationaux, notamment en Europe et en Amérique du Nord, et génèrent des revenus importants pour leurs fabricants.

Pendant ce temps, l’Île de la Tortue, territoire haïtien authentiquement lié à cette histoire, reste délaissée. Aucun complexe touristique d’envergure, aucun parc thématique, aucun musée maritime ou chantier naval n’exploite sur place ce potentiel historique, physique et culturel unique. Pourtant, l’île aurait toutes les cartes en main pour devenir une destination touristique incontournable, au même titre que Nassau aux Bahamas ou Port Royal en Jamaïque.

Cette inaction soulève une question troublante : pourquoi Haïti, seul détenteur légitime de ce pan de l’histoire, ne parvient-il pas à en faire une richesse nationale ? Pour certains observateurs, la réponse réside dans une élite haïtienne coupée des réalités du pays, plus préoccupée par des luttes de pouvoir ou des intérêts à court terme que par un développement structuré et durable. Dans ce vide stratégique, d’autres — en l’occurrence des industriels chinois — ont su flairer l’opportunité.

« Ils n’ont pas besoin de posséder le territoire ou l’histoire, il leur suffit d’avoir l’imagination, la production et les circuits de distribution », explique un spécialiste du commerce international. « C’est un exemple de soft power commercial, où le storytelling devient un levier économique majeur. »

L’ironie est amère pour les Haïtiens. Sur leur propre sol, cette page légendaire de l’histoire des Caraïbes ne donne lieu à aucun projet structurant, alors qu’à des milliers de kilomètres, des entreprises étrangères capitalisent sur ce récit. L’exploitation de la mémoire pirate de l’Île de la Tortue aurait pu (et dû) servir à créer des emplois locaux, attirer les investissements, renforcer l’identité culturelle et améliorer l’image internationale d’Haïti.

Certes, le contexte sécuritaire et politique du pays ne favorise pas les initiatives ambitieuses. La multiplication des gangs armés, les crises institutionnelles à répétition et l’effondrement des services de base créent un climat où le développement touristique semble utopique. Mais cela ne justifie pas l’absence totale de vision ou de projet pilote, même à petite échelle.

Des voix s’élèvent pour réclamer une prise de conscience nationale. « Nous devons réinvestir notre patrimoine, pas seulement sur le plan historique, mais aussi comme ressource économique », plaide un universitaire haïtien. « Ce que les Chinois font avec créativité et efficacité, nous pourrions le faire avec légitimité et profondeur. »

En attendant, les maquettes de navires pirates estampillées Tortuga continuent de se vendre en ligne. Chaque commande passée sur Temu représente une opportunité manquée pour Haïti. Et chaque clic résonne comme un rappel : il ne suffit pas de posséder une histoire pour en tirer parti. Encore faut-il savoir la raconter, l’incarner… et en faire un projet de société.

Elensky Fragelus

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