22 avril 1971 : Quand Haïti devint une monarchie de fait
Il y a 54 ans, un adolescent de 19 ans succédait à son père à la tête d’Haïti, le pays le moins avancé (PMA) de l’Amérique. Jean-Claude Duvalier, proclamé président à vie par un Parlement sous contrôle, inaugurait un second chapitre du régime duvaliériste. Derrière une façade de modernisation, la continuité autoritaire s’imposait, entre répression, détournements de fonds et État patrimonialisé. Retour sur une date emblématique de la dérive institutionnelle haïtienne.
Le 22 avril 1971, Haïti bascule officiellement dans une forme de monarchie républicaine. À peine âgé de 19 ans, et seulement un papier Bac en poche, Jean-Claude Duvalier est investi président à vie, succédant à son père, François Duvalier, mort cinq jours plus tôt. La transmission du pouvoir, présentée comme légale par les autorités, fut rendue possible par un amendement constitutionnel adopté quelques mois auparavant, abaissant l’âge minimal requis pour être président. Cette manipulation institutionnelle, loin d’être anodine, marque le triomphe d’un modèle patrimonial du pouvoir où l’État, vidé de sa substance républicaine, devient l’extension privée d’un clan, d’une famille.
Le jeune Jean-Claude, surnommé « Baby Doc », tente de donner au régime une allure plus douce, moins brutale que celle incarnée par « Papa Doc » et les dynausores de la vieille garde. Les relations avec l’Occident s’améliorent, les investisseurs étrangers sont courtisés, des zones franches sont créées. Mais cette vitrine ne suffit pas à masquer les continuités profondes avec la terreur instaurée par le père. La milice des Tontons Macoutes reste active, les opposants sont muselés ou contraints à l’exil, et la presse demeure sous étroite surveillance.
Selon un rapport d’Amnesty International (1985), les pratiques de torture, d’arrestations arbitraires et de disparitions se poursuivent sous Baby Doc. Les détournements de fonds publics atteignent un niveau spectaculaire : plusieurs millions de dollars issus de l’aide internationale et des caisses de l’État alimentent un train de vie extravagant. Le palais présidentiel devient le théâtre d’un népotisme effréné, tandis que l’essentiel de la population sombre dans une pauvreté extrême.
Pour de nombreux chercheurs, cette date du 22 avril 1971 est bien plus qu’un événement ponctuel. Elle incarne une logique de désinstitutionnalisation chronique, où le pouvoir repose non sur des règles partagées mais sur des allégeances personnelles, la peur et l’appropriation des ressources publiques. « Le pouvoir duvaliériste est l’aboutissement d’un État privatisé, confisqué par une famille », résume le politologue Robert Fatton (Haiti’s Predatory Republic, 2002).
La chute de Jean-Claude Duvalier en 1986, après quinze ans de règne, n’a pas suffi à dissoudre cet héritage. Le retour de l’ex-dictateur en Haïti en 2011, sans poursuites judiciaires réelles, a symbolisé la faiblesse du système judiciaire haïtien et la résilience des élites liées au régime. Le 22 avril reste ainsi une date de rupture — mais aussi de continuité : celle d’un pays toujours en lutte pour se libérer d’une culture politique où le pouvoir s’hérite, se protège et se reproduit dans l’impunité et danse 54 ans plus tard avec les « chimè », les « atache » et maintenant les gangs fédérés G9 ou Viv Ansanm sous les ordres des bandits a kravat.
