3 octobre 2025
Haïti, 12 mars 2021, 1er « territoire perdu » – Quatre ans après le massacre du Village de Dieu : une histoire d’impunité et de chaos aggravé
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Haïti, 12 mars 2021, 1er « territoire perdu » – Quatre ans après le massacre du Village de Dieu : une histoire d’impunité et de chaos aggravé

Il n’y a pas d’Etat en Haïti, seulement une administration du chaos

Quatre années se sont écoulées depuis l’horreur du 12 mars 2021, lorsque quatre policiers d’unités diverses de la PNH, ont été livrés à la barbarie des gangs dans le quartier de Village de Dieu. Ce jour-là, une intervention de la Police Nationale d’Haïti (PNH), annoncée avec fracas, s’est transformée en une opération désastreuse où les forces de l’ordre ont été non seulement défaites, mais humiliées, abandonnées à leur sort face à des criminels terroristes surarmés et stratégiquement supérieurs. Pourtant, dès le lendemain, l’échec était déjà étouffé sous les justifications bancales et le silence des autorités « constitutionnelles ». Nul responsable désigné, nul commanditaire jugé, nul ministre ou chef de police contraint à rendre des comptes. Haïti poursuivait sa route dans l’impunité institutionnalisée.

L’un des principaux acteurs de ce naufrage sécuritaire, l’ancien Premier ministre de facto Joseph Jouthe, n’a jamais eu à répondre de ses contradictions ni de ses choix stratégiques. Lui qui, quelques mois auparavant, entretenait un dialogue ouvert avec le chef de gang Izo 5 Segond, s’est empressé après le drame de dénoncer ces mêmes groupes armés comme des « terroristes sans foi ni loi« , sans pour autant assumer la responsabilité de leur montée en puissance. Cette dualité entre connivence et condamnation symbolise parfaitement la gestion schizophrénique de la crise sécuritaire haïtienne : un État qui négocie le matin avec les criminels et déclare la guerre l’après-midi, sans jamais en avoir les moyens. Quatre ans plus tard, où en est Haïti ?

La réponse est tragique.

L’État haïtien ne contrôle plus Port-au-Prince.

Là où, en 2021, certaines zones restaient accessibles, aujourd’hui, la capitale est largement assiégée. Des corridors entiers sont sous l’emprise des gangs, les postes de police abandonnés, et l’aéroport international Toussaint Louverture, symbole de la principale porte ouverte du pays sur le monde, est fermé. Le 12 mars 2025, le ministre de l’Intérieur de facto, soucieux de prouver qu’il a encore une quelconque utilité, publie une note exigeant que les hôtels lui communiquent les noms des étrangers séjournant dans leurs établissements. Il feint d’ignorer que les États-Unis, non seulement repoussent à septembre tout vol commercial vers Port-au-Prince, mais ont également relevé au niveau 4 l’alerte à leurs ressortissants, leur déconseillant formellement de se rendre dans un pays où « trois braqueurs de banque sont toujours aux commandes ». Les Haïtiens sont des exilés sur leur propre terre. Ceux qui souhaitent entrer ou sortir doivent transiter par l’aéroport du Cap-Haïtien, dans le nord, risquant leur vie sur des routes infestées de coupeurs de route et de milices armées. Ce qui semblait être une crise en 2021 est devenu un effondrement total en 2025.

Le massacre de Village de Dieu aurait pu être un tournant. Il aurait pu marquer un sursaut de l’État, une prise de conscience de la nécessité de restaurer l’ordre républicain. Il aurait pu être l’occasion d’une réforme en profondeur de la police, d’un assainissement des sphères du pouvoir gangrenées par la corruption et la complicité avec le crime organisé. Mais il n’en fut rien. Les quatre policiers morts ce jour-là ne sont pas seulement tombés sous les balles des gangs, ils ont été victimes de l’incompétence et de l’abandon de ceux qui prétendent gouverner Haïti.

Le fait que cette opération n’ait jamais fait l’objet d’une enquête sérieuse, que les fautes de commandement n’aient jamais été élucidées, que les familles des victimes n’aient jamais obtenu justice, en dit long sur la nature du régime haïtien. Il n’y a pas d’État en Haïti, seulement une administration du chaos. Une administration qui, selon les circonstances, fait semblant de combattre les gangs, puis collabore avec eux lorsqu’il s’agit de maintenir une fragile stabilité politique. Une administration qui, après chaque massacre, prononce des discours creux, annonce de nouvelles « opérations », avant de retomber dans son immobilisme, laissant la population livrée à elle-même.

Le silence entourant l’affaire de Village de Dieu est d’autant plus accablant que des figures politiques de premier plan avaient, à l’époque, promis des poursuites judiciaires. En 2021, l’avocat et activiste politique woule’m de bò , selon ses petits intérêts mesquins, André Michel annonçait le dépôt d’une plainte contre Léon Charles, alors directeur général de la PNH, l’accusant de négligence criminelle dans la gestion de cette opération. Quatre ans plus tard, cette plainte a disparu dans les méandres d’une justice fantôme, comme tant d’autres avant elle. Ceux qui devaient répondre devant la nation continuent de circuler librement, tandis que les policiers assassinés, eux, sont restés dans l’oubli. Ils n’ont même pas eu droit à une sépulture.

Le constat est brutal : tant que persistera le régime issu du PHTK et de ses héritiers, tant que l’insécurité continuera d’être instrumentalisée par les élites politiques et économiques, tant que la justice restera une coquille vide, Haïti ne connaîtra ni paix ni stabilité. La dégradation actuelle du pays ne fait que confirmer ce que beaucoup redoutaient en 2021 : l’échec d’une classe politique qui n’a jamais eu la volonté réelle de restaurer l’autorité de l’État.

Une question fondamentale demeure : qui portera la responsabilité de ce naufrage ? Haïti est aujourd’hui à un point de non-retour où le chaos n’est plus une exception mais une normalité. Les dirigeants successifs n’ont pas seulement échoué, ils ont trahi.

Et tant que l’impunité régnera, tant que les criminels de tous bords – à cravate et à sapate – continueront d’échapper à la justice, les massacres se poursuivront. Le pays, déjà vacillant, sombrera toujours plus profondément dans l’abîme. Là où il n’y avait qu’un seul « territoire perdu », il y en a désormais plusieurs. Le premier référendum avorté repose aujourd’hui dans cet abîme, après plus de 40 millions de dollars dilapidés en pure perte, un gaspillage monumental qui n’a servi qu’à enrichir une élite sans scrupules. Pendant ce temps, la population s’enfonce dans la peur et l’incertitude, abandonnée à un État qui ne gouverne plus, à des institutions qui n’administrent que le chaos, et à des dirigeants qui n’ont d’autre ambition que de perpétuer leur propre survie, fût-ce au prix de l’effondrement total du pays.

cba

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