PRÉJUDICES ET LACUNES ENTRE ÉDUCATION ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
Par Pierre Robert Auguste (PRA)
J’ai assisté ce matin à l’UPAG (Université Publique de l’Artibonite aux Gonaïves) à des ateliers collaboratifs, une initiative louable de Inn@v Ed-Uniq portant sur l’éducation et le développement durable.
Très vite, la discussion s’est orientée vers l’intelligence artificielle générative (système informatique capable d’associer image, son et texte) et son adaptation à l’apprentissage, la formation, ainsi qu’à la transmission du savoir et du savoir-faire en Haïti.
Ceux qui, comme moi, suivaient à Gonaïves le déroulement virtuel des débats, malgré des interruptions récurrentes et des interférences discordantes, ont pu mesurer l’imperfection de l’accessibilité numérique en Haïti. En un mot, la fracture numérique perpétue des inégalités au sein des couches sociales démunies et dans les territoires les plus précaires. L’Internet demeure un luxe, une source d’inégalités sociales et territoriales insupportables et aberrantes. Jusqu’à présent, l’État n’a pas encore joué un rôle majeur dans la promotion des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Le groupe Croissance, dirigé par Kesner Pharel, ainsi que d’autres opérateurs ont pris le relais, sinon supplanté l’État dans ce domaine. Pourtant, en tant que régulateur, ce dernier aurait pu ordonner au Conatel de collaborer avec Digicel et Natcom pour créer un Institut National de Hautes Technologies et établir une Silicon Valley haïtienne dans la zone de Sabourin, entre Cazale et Cabaret, en déléguant sa gestion à un consortium d’opérateurs privés compétents, chargés d’une mission contractuelle de service public et d’intérêt général.
Il est louable de réfléchir à la transformation des curricula et à leur adaptation aux besoins nationaux. Toutefois, il est nécessaire de s’attaquer aux préalables. L’éducation en Haïti est encore trop lacunaire et préjudiciable. Sa politisation outrancière fait du ministère et des instances décisionnelles des entités instables et fluctuantes. L’actuel titulaire du ministère de l’Éducation nationale affiche une sensibilité politique marquée, au point que sa tentation autoritaire transparaît clairement. Pire encore, le Fonds National de l’Éducation (FNE), principale ressource financière du système, est concédé à un parti politique dans une logique biaisée de répartition des privilèges, illustrant ainsi la manière dont l’État maintient la société à l’écart des décisions qui la concernent pourtant au premier chef.
Les écoles, quant à elles, poursuivent leur propre trajectoire, renforçant les clivages sociaux. Entre l’État, les établissements scolaires, la société et les entreprises, le lien et l’harmonie restent inexistants, plus de 200 ans après notre indépendance. Chacune de ces entités évolue en vase clos, ignorant les autres. Il est impératif de multiplier les initiatives comme celles d’Inn@v Ed-Uniq afin d’établir un dialogue social, de tracer des axes de convergence et de tisser un maillage solide en faveur d’un véritable partenariat pour le développement. Surtout, il s’agit de restaurer et de faire prévaloir les valeurs morales dans toutes les interactions.
La stratégie actuelle doit être repensée. Nous devons nous appuyer sur les acquis laissés par nos prédécesseurs et ne pas nous limiter à une trajectoire classique allant de l’agriculture à l’industrie, puis des industries aux services. Désormais, les NTIC et l’intelligence artificielle doivent être au service d’une éducation accessible à tous. Cette dernière doit permettre l’émergence d’une humanité haïtienne universelle, affranchie des schémas de dépendance absolue et de la culture infériorisante qui freine son émancipation.
Gonaïves, le 11 mars 2025
Pierre Robert Auguste